Propositions pour une VI° République démocratique, sociale et écologique


François LALANDE

Vers la démocratie

Indices de bien-être ou indices financiers

Pour des indices proches de l’humain

Les hommes politiques, les chroniqueurs économiques et politiques, les médias parlent du PIB, le Produit Intérieur Brut, comme si l’accroissement de ce PIB était la panacée universelle à tous nos maux.

Pourtant, le PIB est l’un des plus mauvais indices qui soient. Il repose sur des bases uniquement financières et fait apparaître comme positives des productions absolument négatives. Si on fabrique plus d’armements, plus de mines antipersonnelles et plus de bombardiers géants, si les accidents de la route augmentent avec tous les soins médicaux et les dépenses de réparation que cela entraîne, le PIB aura augmenté. Par contre, si un hiver est doux et si la population consomme moins d’énergie pour le chauffage et moins de vêtements de laine, nos chroniqueurs gémiront que le PIB a diminué, alors que la population, et notamment les plus démunis, aura vécu plus confortablement.

L’Angleterre a plutôt des indices économiques qui en font un pays riches, or 30 % des enfants mineurs sont au-dessous du seuil de pauvreté, dont 20 % en insécurité alimentaire. Alors que la durée de vie moyenne est de 80 ans, dans certains quartiers et petites villes pauvres  anglaises la durée de vie n’est que de 67 ans. La France, grâce à ses systèmes de protection sociale, connaît moins de pauvreté extrême.

Il existe des indices de bien-être, comme l’IBEE, l’Indice de Bien Être Économique, qui tient compte de la répartition des revenus, des logements, du chômage, de la pauvreté, des coûts environnementaux, etc. ou l’IDH, l’Indice de Développement Humain. Le fameux BNB, Bonheur National Brut, du Bhoutan repose sur le développement économique, la promotion de la culture nationale, la sauvegarde de l’environnement et une bonne gouvernance participative. Leurs critères d’évaluation sont plus subjectifs que si l’on se contente de prendre la valeur marchande des biens matériels et des services consommés. Mais ils renseignent beaucoup mieux que les indices purement financiers sur la réalité vécue par les citoyens.

Au-delà, on établit l’empreinte écologique d’un individu, d’un groupe ou d’une activité, qui mesure leur pression sur l’en-vironnement. Elle prend en compte la consommation des ressources naturelles non renouvelables et les pollutions thermiques ou chimiques qui en résultent. Combien faudra-t-il de désastres écologiques ou de menaces grandissantes pour en tenir compte ?

Lorsqu’on a rendu l’instruction obligatoire ou limité les vitesses de déplacement sur les routes, on n’a pas retenu la seule rentabilité financière. Si la démocratie a pour objectif d’améliorer le bien-être du plus grand nombre, et la démocratie sociale le bien-être des plus défavorisés, les politiques retenues devraient s’appuyer sur des indices plus justes que le seul P.I.B.

Voir : Besoins fondamentaux. Gaspillages. Plan prévisionnel.

Croissance

Croissance des gaspillages ou amélioration du bien-être de tous ?

L’une des croyances les plus répandues, qui fait presque l’unanimité de la classe politique et de la classe médiatique, de la gauche (sauf les écologistes et les Insoumis) à l’extrême droite, est qu’il faut « relancer la croissance ». Tous ces responsables très instruits estiment, en bons cerveaux binaires, que sinon nous retournerions à l’âge des cavernes.

Ils affirment être « pour la croissance », mais sans préciser de quelle croissance il peut s’agir et sans réfléchir à ses limites.

Or, il peut y avoir de multiples sortes de croissance : une croissance pour les plus riches de  biens  matériels  supplémentaires, voitures, vêtements de luxe, gadgets électroniques non indispensables, ou pour les plus pauvres une amélioration de l’alimentation, des soins de santé, du logement, de l’éducation ? Une croissance des résidences secondaires très peu occupées, de tronçons d’autoroutes inutiles ou une croissance des services à la personne, des centres de santé, des résidences pour personnes âgées ? Une croissance de la production d’armements, de chars, d’avions de combat, de fusils mitrailleurs, de mines antipersonnelles ou une croissance des musées, des théâtres, des orchestres, des bibliothèques, des universités ? On pourrait multiplier les exemples qui montrent que parler de croissance sans préciser en quoi et pour qui n’est pas sérieux.

Mais il y a aussi le problème des limites de la croissance matérielle. Depuis le Club de Rome et son ouvrage « Les limites à la croissance » publié en 1972, il y aura bientôt 50 ans, on sait qu’une croissance matérielle de 3 % par an, objectif annoncé encore récemment par tous les grands partis traditionnels, ne peut pas durer ; cela représenterait en 25 ans un doublement de la production, c’est-à-dire une augmentation considérable des déchets, des rejets, des pollutions qu’elle entraîne, du réchauffement climatique et une consommation dangereuse et à terme impossible des ressources non renouvelables de la planète.

On fait en outre l’amalgame entre les objectifs d’une croissance du bien-être pour l’ensemble de la population, en particulier pour ceux qui en ont le plus besoin, et l’accumulation de richesses matérielles et financières par la frange la plus riche des populations mondiales. En démocratie, la croissance doit répondre aux besoins fondamentaux de l’ensemble de la population en biens matériels et en services, et non à la recherche de profits financiers maxima pour une très petite minorité.

C’est pourquoi le mot de croissance, comme le mot de décroissance, ne devrait pas être agité triomphalement comme un drapeau. Ou alors c’est le drapeau d’une société néo-libérale, d’une société d’accroissement des gaspillages et des inégalités. Le mot croissance, comme tous les mots fourre-tout, ne peut être employé que si on précise le sens qu’on lui donne. Sinon, c’est du cabotinage politique ou médiatique, du flou intellectuel et le fait qu’on accepte de continuer à foncer droit dans le mur.

D’accord pour la croissance du bien-être de tous, ce qui implique évidemment une décroissance des consommations matérielles des plus riches ; mais pas d’accord pour la croissance des seuls profits financiers et l’enrichissement d’une mince couche de privilégiés.

Voir : Besoins fondamentaux. Décroissance matérielle. Gaspillages. Indices de bien-être ou indices financiers. Mots fourre-tout. Pensée binaire. Plan prévisionnel.

Gaspillages

Réduire l’inutile et augmenter l’utile

Notre civilisation occidentale de consommation matérielle de biens jetables est une source de gaspillages qui menacent à terme la planète. Et dans l’immédiat, ils appauvrissent la part de l’humanité la plus pauvre et nous éloignent de l’idéal démocratique d’égalité et de solidarité.

La liste de nos gaspillages est immense. Elle est d’autant plus regrettable que ces gaspillages ne sont pas indispensables à notre qualité de vie et qu’ils participent même à sa dégradation, sauf pour quelques privilégiés qui ont les moyens de se mettre à l’abri.

Je ne citerai ici, pêle-mêle, que quelques gaspillages trop répandus :

- 40 % des aliments produits sont jetés

- emballages en tout genre qui ne servent qu’à attirer le regard du client.

- un exemple frappant dans le paysage français : les 3,7 millions de résidences secondaires, une de nos spécificités, ne sont occupées, d’après des enquêtes faites dans les zones de villégiature de montagne, qu’une semaine par an en moyenne. Quant aux bateaux de plaisance, dans des ports de plus en plus grands, ils ne sortent en moyenne que quelques jours par an. Sait-on que les résidences secondaires insuffisamment occupées sont lourdement taxées au Danemark qui est pourtant un pays développé et moderne ?

- transports de marchandises en tout sens, sur des milliers de Km, parce que les coûts de transports sont trop bas, ce qui permet aux sociétés commerciales et financières de gagner quelques centimes de plus au kilo ou quelques euros à la tonne. Avons-nous besoin, en France pays grand producteur de pommes et de viande, de consommer des pommes et des moutons venus de Nouvelle-Zélande, c’est-à-dire de l’autre bout de la planète ?

- trop d’autoroutes, de routes inutilement lisses. Trop de TGV, certains sont utiles, mais d’autres ne se justifiaient pas, ce qui oblige leurs promoteurs publics ou privés à inciter les usagers à multiplier sans grande utilité leurs déplacements, alors qu’il faudrait au contraire les inciter à les modérer. Cela représente aussi des gaspillages dans les investissements, puisque l’on sait que 1 km de ligne nouvelle TGV coûte en moyenne 10 fois plus cher que la modernisation de 1 km de voies anciennes. La modernisation des voies classiques pour les dessertes locales, régionales et interrégionales aurait transféré beaucoup plus de trafic de la route vers le rail que le TGV pour un coût bien moindre.

- quant aux gaspillages d’énergie, depuis le chauffage des logements au tout électrique à la civilisation périurbaine du tout automobile, en passant par un réseau de lignes à haute tension qui consomme à lui seul une grande part de l’électricité produite, non seulement nous consommons des énergies non renouvelables et nous produisons des déchets nucléaires indestructibles, mais nous réchauffons dangereusement la planète.

- la France a le sixième budget de dépenses militaires du monde (34 milliards d’euros en 2018), derrière les États-Unis et la Chine, mais devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Est-ce bien nécessaire ?

- la politique nucléaire pratiquée depuis des décennies représente un gaspillage monumental en investissements. À la fin des années 1970, une commission réunissant de nombreux experts avait conclu que tout milliard de francs investi dans les économies d’énergie rapporterait plus de puissance électrique disponible que tout milliard investi dans le nucléaire. A l’époque, et depuis, les lobbies nucléaires, l’EDF état dans l’État, les ingénieurs passionnés par leur technique, ont vite fait ranger le rapport de cette commission dans un tiroir.

- la mégapole parisienne à elle seule constitue une somme de gaspillages gigantesques par les temps perdus dans les transports, les équipements pharaoniques et hors de prix que les pouvoirs publics réalisent année après année dans une course sans issue.

La politique de l’énergie, la politique des transports n’a jamais fait l’objet en France d’un débat démocratique. Les dirigeants de tout bord sont partis de l’axiome qu’il fallait en consommer toujours plus. Le citoyen aisé y voit avec satisfaction une augmentation de son confort immédiat ou de ses plaisirs personnels sans se soucier des gaspillages que cela constitue.

Si les dangers que cela comporte pour leur avenir ou pour celui de leurs enfants, si les coûts que cela représente pour la collectivité et donc pour tous, avaient été clairement débattus, les citoyens auraient certainement opté pour plus de modération.

Voir : Croissance. Décroissance matérielle. Paris ou la province. Seuils limites. Vitesse.

Décroissance matérielle

Consommer moins pour vivre mieux

Parler de décroissance est aussi imprécis que de parler de croissance sans préciser laquelle.

Il ne s’agit pas de tout arrêter et de revenir à l’âge de pierre, de la cueillette et de la chasse, comme le croient les penseurs binaires productivistes et comme le disent tous ceux qui veulent nier la réalité pour préserver leur mode de vie privilégié.

Le problème est que nos modes de vie actuels, dans les pays développés et pour les classes favorisées des pays pauvres, nous font consommer des ressources de la planète qui sont limitées : énergies fossiles, minerais, forêts, poissons, etc. tout en rejetant des pollutions dans les océans, dans les nappes phréatiques, dans l’atmosphère et des gaz à effet de serre qui concourent à un réchauffement de la planète et à la disparition de la vie naturelle sur terre ou, tout au moins, à une diminution grave de la biodiversité.

Il apparaît alors nécessaire de limiter la consommation des ressources naturelles non renouvelables et les productions de pollutions aux minima indispensables et, dans le même temps, de mieux répartir les ressources disponibles entre les bientôt 9 milliards d’êtres humains vivant sur la planète terre. Rappelons que 10 % des humains accaparent 86 % des richesses mondiales et que 50 % des humains se partagent seulement 1 % des richesses mondiales. On retrouve là la différence entre la droite, « moi d’abord », et ce que devrait être une vraie gauche, « aider les plus démunis à vivre décemment ».

Cette  décroissance  matérielle  n’empêcherait  pas  les  habitants des pays développés de conserver un mode de vie agréable, mais en renonçant aux superflus matériels et aux multiples gaspillages. Elle serait compatible avec une croissance des services à la personne, de logements mieux isolés, d’une alimentation plus sobre et plus saine, de relations sociales plus développées, d’activités culturelles épanouissantes. Peindre, jouer de la musique, chanter, jouer aux boules, lire, faire du jogging ou de la marche, circuler à vélo en ville, pratiquer le ski de fond et la voile sans moteur demandent moins de matériels et de consommations d’énergie et produisent moins de pollutions que les circulations automobiles, le ski de piste, les sports motorisés, les résidences principales surdimensionnées ou les résidences secondaires inoccupées (les résidences secondaires ne sont occupées en moyenne,  si on prend l’ensemble des résidences secondaires, qu’une ou deux semaines par an).

Lorsqu’on aura remplacé les indices de croissance, comme cette aberration économique et sociale qu’est le Produit Intérieur Brut (PIB), par des indices traduisant un bien-être plus ou moins grand, alors on pourra espérer que l’ensemble des êtres humains vivra mieux et que l’espèce humaine survivra.

Lorsqu’on aborde le sujet de la décroissance, il faut souligner qu’il s’agit à la fois d’une décroissance matérielle globale devenue indispensable, mais en même temps d’une croissance pour les moins favorisés et d’une meilleure répartition des ressources disponibles. Les trois sont indissociables.

Il s’agit de permettre que les plus démunis bénéficient d’une croissance matérielle leur permettant de couvrir leurs besoins fondamentaux et que l’ensemble des êtres vivants améliore leur qualité de vie tout en assurant la pérennité de la vie sur terre.

Voir : Besoins fondamentaux. Croissance. Gaspillages. Immigration. Indices de bien-être ou indices financiers. Pensée binairePlan prévisionnel. Transports urbains.

Économie sociale et solidaire

Un type d’économie à généraliser

L’économie sociale et solidaire est une forme remarquable de démocratie économique et sociale. L’objectif premier n’est pas le profit financier ; il s’agit de fournir des biens et des services, de procurer du travail, sous la forme d’une participation volontaire et d’échange d’égal à égal.

Il n’y a plus de rapports de dominant à dominé comme entre le patron et l’employé, comme entre la grande surface commerciale et le petit fournisseur ou le petit consommateur.

Cela peut prendre des formes différentes, depuis le troc et la comptabilité des échanges au moyen de « grains de sel » ou d’une monnaie locale, la mise en place de micro crédits ou l’adhésion à une banque solidaire. Des liens sociaux sont créés entre les personnes au moyen de réseaux locaux de quartier, de village, liens de proximité et de solidarité fondés sur l’échange.

Sur le plan économique, on crée des filières courtes pour la livraison de produits agricoles, de bois de chauffage, de biens de consommation courante limitant ainsi les déplacements à longue distance trop consommateurs d’énergie. De la même manière, on construit des ateliers collectifs : ateliers bois, ateliers de couture, centrales de chauffe, réfection et isolation des logements, récupération de textiles ou de matériaux, entretien et réparation d'appareils domestiques, etc.

L’économie sociale et solidaire remplace la relation individuelle et les rapports de force dans le monde du travail par la constitution de réseaux démocratiques fondés sur l’égalité, la solidarité, la liberté de choix à partir des capacités et des goûts des participants. Elle occupe déjà 2,5 millions de travailleurs et elle représente 10 % du PIB, mais cela reste encore bien au-dessous de ce qu’elle pourrait être. Un État véritablement démocratique devrait avoir pour objectif de limiter le développement des grandes sociétés de profit et de soutenir par des détaxations et des aides diverses la généralisation de ce nouveau type d’économie.

Voir : Coopératives de production. Décroissance matérielle. Entreprise privée. Expériences sociales et culturelles. Petits pas. Prix minimum. Profit maximum ou juste bénéfice ?

Prix minimum

Défendre les conditions de vie des petits producteurs

Un prix unique du livre a été institué en 1981 pour défendre les écrivains,  les  éditeurs  et  les  libraires.  Bien  d’autres  professions auraient besoin de se voir garantir des prix minima pour la vente de leurs productions.

Prenons les agriculteurs. En France, leurs revenus ont considérablement chuté depuis 10 ans. Un agriculteur sur trois gagne moins de 350 euros par mois, ce qui est bien inférieur au RSA attribué à des personnes sans travail et sans ressources. Lorsqu’un producteur de lait de montagne touche 30 centimes d’euro par litre de lait, ce lait est vendu 90 centimes aux consommateurs, soit 3 fois plus cher en raison des marges prises par les intermédiaires, les grandes surfaces ou les détaillants. Pour survivre il lui faudrait recevoir au moins 35 centimes et pour vivre convenablement il aurait besoin de 40 centimes.

Les grossistes, intermédiaires et grandes surfaces répondent : 30 centimes, c’est le prix du marché européen. Si vous n’acceptez pas ou si vous vous mettez en grève, nous achèterons du lait en Pologne. On n’a pas vu arriver le plombier polonais, mais le lait polonais est bien là. Les pêcheurs sont dans la même situation, leurs sardines sont revendues 3 ou 4 fois plus cher au détail que ce qui leur est payé à la criée. Les frontières des 27 pays de l’Europe libérale sont une passoire. Des bateaux de pays européens transfèrent à leur bord en haute mer les pêches de bateaux russes et ils envoient sur les marchés européens des poissons à des prix inférieurs au minimum nécessaire à la survie des pêcheurs français.

Chez les transporteurs, c’est la même chose. Je me souviens d’un reportage sur une chaîne de télévision nationale où l’on voyait deux camions au blason de la même entreprise française s’arrêter côte à côte. Les deux chauffeurs montraient leurs feuilles de paye, la paye du chauffeur polonais était exactement la moitié de celle du chauffeur français.

À l’inverse, je voyais un jour dans les Alpes suisses des agriculteurs en train de faucher à la main, à l’ancienne, des foins sur des pentes trop raides pour y faire passer des faucheuses mécaniques. Plus loin on voyait un tracteur moderne et une ferme chalet très coquette. Je demandais comment ils faisaient pour gagner leur vie. Réponse : on ne leur achète pas le lait au prix du marché, mais à un prix minimum fixé pour leur permettre de vivre et de rester travailler au pays.

Cela est vrai pour tous les producteurs et artisans qui produisent là où ils résident et, dans les grandes agglomérations, pour ceux qui rendent des services de proximité.

C’est vrai aussi pour les pays pauvres. Dans les pays d’Afrique, les poulets en provenance des élevages industriels en batterie des pays riches coûtent moins cher sur les marchés que les poulets apportés par les producteurs locaux, ce qui ruine la paysannerie locale. Ici encore, des prix minima devraient être imposés.

Le seul remède à ces désordres est de rétablir des tarifs douaniers, un protectionnisme douanier réfléchi et des prix minima tenant compte des conditions de production. Cela ne peut se faire que dans des zones d’échange où existe un véritable gouvernement capable de réguler les échanges extérieurs aux frontières et d’imposer à l’intérieur du pays des prix minima en procédant à des redistributions de revenus.

Voir : Une économie mi-publique mi-privée. Europe libérale actuelle. Échanges extérieur.

Profit maximum ou juste bénéfice ?

Interdire les profits abusifs

Dans les années 1970 à Grenoble, les chocolats Cémoi ont fermé leur usine et de vastes locaux étaient devenus disponibles. Les promoteurs immobiliers nous ont dit qu’ils étaient prêts à transformer en entrepôts ces locaux situés en pleine ville. Deux gardiens suffiraient pour assurer la surveillance et ce serait alors une affaire financièrement intéressante.

Au lieu de cela, la Ville a préempté ces locaux, une société d’économie mixte a été montée. Les locaux ont été aménagés de façon à pouvoir recevoir des petites et moyennes entreprises : réseaux de fluides, système de chauffage collectif, cloisons amovibles pour pouvoir faire varier les surfaces louées, gardiennage, etc. Au total plusieurs dizaines d’emplois ont été créées au lieu des deux annoncés et la société d’économie mixte gestionnaire a été bénéficiaire, mais sans excès et sans rechercher le profit maximum.

Toute activité doit être gérée au mieux financièrement, mais il y a en gros quatre types de rentabilité :

- la plus visible et la plus connue est celle qui correspond à la recherche du profit maximum. C’est ce que vise toute entreprise ou société privée, dont l’objectif fondamental est d’enrichir ses dirigeants et ses actionnaires. C’est le capitalisme financier libéral dont on voit actuellement les excès, des taux de rentabilité annuelle à deux chiffres offerts aux actionnaires et les dégâts sociaux et environnementaux annoncés depuis des décennies.

- le second type est le capitalisme tempéré ou le capitalisme social. Les actionnaires et les dirigeants limitent leurs profits afin d’améliorer les conditions de travail et de rémunération du personnel. Une part des bénéfices est consacrée à la formation professionnelle ou au logement des salariés.

- le troisième type est la recherche d’un bon équilibre financier, sans aller jusqu’au profit maximum. On couvre les dépenses, on assure les investissements, on intéresse le personnel aux résultats, on rémunère le capital à un taux intéressant, mais non usuraire, on fait des réserves pour l’avenir. C’est le cas des coopératives de production. C’est le cas aussi des sociétés d’économie mixte auxquelles la puissance publique fixe des objectifs sociaux, des objectifs d’aménagement du territoire ou de respect de l’environnement autant qu’économiques et veille cependant à ce que les résultats ne soient pas déficitaires.

- les services sociaux déficitaires : ils ont besoin d’être subventionnés parce qu’ils sont socialement jugés utiles, mais les usagers ne sont pas en mesure ou n’acceptent pas d’en payer le prix. Cela s’applique au logement social, aux transports urbains, à la santé, à l’éducation. Un particulier dépensera 300 € par mois pour sa voiture, mais il ne prendra pas le bus ou le tram si le trajet lui coûte 2 €. Des parents offriront télévision et playstations à leurs enfants, mais refuseront de payer le véritable prix de leurs études. Des familles partiront en vacances, mais refuseront de se soigner correctement si ce n’est pas remboursé en totalité ou en majeure partie par la sécurité sociale.

Ces activités financièrement déficitaires sont assurées par des services publics ou des sociétés d’économie mixte, ce qui ne veut pas dire que leur gestion doive être laxiste. De multiples moyens de comparaison entre les différents types de gestion, de productivité et de qualité, existent, autres que la main invisible du marché libéral, mais cela demande une volonté politique réelle d’améliorer la gestion et non de détruire les services d’intérêt collectifs.

Ce qui pose problème aussi, c’est de tolérer que les entreprises de productions de biens et de services soient soumises aux seuls intérêts des capitalistes. Les banques, les compagnies pétrolières, les compagnies de téléphonie, la grande distribution, les grosses exploitations agricoles ont pour but premier non pas la satisfaction des consommateurs, non pas le bien-être de leurs salariés, mais la recherche du profit maximum érigée en but unique.

Les consommateurs et les usagers sont surtaxés, les personnels sont exploités, les investissements qui ne sont pas immédiatement rentables sont négligés. Des usines et des services sont fermés bien que bénéficiaires, parce qu’ailleurs on peut gagner encore plus. On ne tient pas compte des drames que cela entraîne pour les personnels ou des coûts économiques que cela représente pour les collectivités et les territoires sur lesquels ils étaient implantés et qui bien souvent les ont subventionnés par des aides indirectes.

C’est là que doit intervenir la régulation publique dans le cadre de frontières où s’exerce un pouvoir politique et juridique. Si non c’est la loi de la jungle : le fort opprime le faible, le gros écrase le petit ou l’asservit.

De même qu’il existe un salaire minimum et que l’usure – c’est-à-dire des taux d’intérêts trop élevés – est interdite, l’État devrait imposer des salaires maxima et limiter les stocks options, les salaires et les retraites démentielles, les parachutes dorés qui constituent de véritables détournements de biens sociaux. On condamne un jeune qui vole un CD dans un grand magasin, on licencie ou condamne un ouvrier qui sort de l’usine quelques outils, mais, dans le même temps, les dirigeants s’approprient en toute légalité des millions d’euros qu’ils puisent dans les caisses des entreprises privées.

La mise en poche de super profits n’est plus supportable. La puissance publique pénalise les excès de vitesse et le vol, elle peut aussi punir les excès de rémunérations qui constituent de véritables vols.

Voir : Coopératives de production. Échanges extérieur. Une économie mi-publique mi-privée. Entreprise privée.

Entreprise privée

Donner sa juste place à chacun des partenaires

L’entreprise privée capitaliste a pour but principal la recherche du profit maximum à court terme dans l’intérêt financier de ses actionnaires et de la volonté de puissance et d’enrichissement personnel de ses dirigeants. On est mis brutalement en face de cette réalité lorsqu’on voit des entreprises, pourtant bénéficiaires, licencier une partie de leur personnel ou être fermées et délocalisées dans d’autres pays, parce qu’une main-d’œuvre meilleur marché leur permet d’y faire des profits supérieurs.

Au cours du XXe siècle, cette priorité absolue donnée au profit maximum était tempérée pour trois raisons : les coûts de transport n’étaient pas encore devenus secondaires ou même négligeables ; les pays à faibles salaires ne disposaient pas d’une main-d’œuvre suffisamment qualifiée, ni du savoir-faire nécessaire ; enfin, le « fordisme » estimait que les salariés devaient être assez payés pour pouvoir acheter les produits qu’ils produisaient.

De nos jours ces freins ont considérablement diminué ou disparu. S’est ajouté le pillage scandaleux des disponibilités financières de l’entreprise par des dirigeants qui n’hésitent pas à se faire payer sans mesure. C’est le fait d’hommes souvent intelligents, intrépides, décidés, mais cyniques et amoraux. Or, dans une démocratie la loi et les institutions publiques, administrations, justice, police doivent intervenir pour empêcher les plus forts de voler, écraser et ruiner les plus faibles.

La loi impose, par exemple, aux dirigeants d’entreprises de payer un salaire minimum, de régler des charges sociales, d’assurer aux salariés des conditions de travail décentes. De la même façon elle pourrait limiter la part des bénéfices allouée aux actionnaires et les sommes prélevées dans les caisses par les dirigeants1. Il faut espérer que l’entreprise fondée sur la domination du capital et des dirigeants paraîtra un jour aussi obsolète que les exploitations agricoles fondées sur l’appropriation du sol par le seigneur, le servage ou l’esclavage.

L’entreprise vit grâce à ses différents constituants : actionnaires, dirigeants, salariés, fournisseurs, clients, collectivité locale. La collectivité territoriale dans laquelle elle s’insère concourt, en effet, aussi à sa prospérité par les équipements publics qu’elle met à sa disposition et à la disposition de son personnel. Chacun des constituants a besoin de la pérennité de l’entreprise, qu’elle ait des résultats financiers bénéficiaires et, sauf pour les actionnaires, qu’elle demeure dans le lieu où elle s’est développée. C’est là qu’intervient la différence entre profit maximum et bénéfices nécessaires.

Les salariés encore plus que les actionnaires ont besoin que l’entreprise ait des résultats positifs.  Les actionnaires peuvent répartir leurs risques et délocaliser leurs investissements, tandis que pour les salariés il s’agit de leur revenu de subsistance et, pour eux, de pouvoir gagner leur vie là où ils habitent, là où ils ont leur réseau social familial, associatif ou de voisinage. Pour cela la forme coopérative est déjà une réponse de qualité démocratique très supérieure à la société anonyme par actions.

La loi pourrait imposer aux entreprises un statut juridique dans lequel les dirigeants, les salariés, les actionnaires et les collectivités territoriales, lorsqu’elles apportent des aides directes ou indirectes, auraient chacun une place dans un Conseil d’administration mixte. Aucune de ces parties n’aurait la majorité à elle seule. Un chef d’entreprise serait toujours nécessaire, mais il ne serait plus choisi par le seul capital.

Certains capitalistes continueraient à rechercher ailleurs des profits maximaux et, au besoin, un risque supérieur. Mais un pays d’économie mixte publique et privée comme la France, avec tous les avantages que cela comporte, à condition de réguler ses échanges extérieurs par un protectionnisme solidaire, trouverait toujours des compétences, des capitaux et des salariés prêts à s’investir dans des entreprises équitables, à l’abri des aventures financières et des vols financiers opérés par les dirigeants et les apporteurs de capitaux.

1L’ONG OXFRAM, dans un rapport du 14 mai 2018, a souligné que les groupes du CAC 40 ont depuis 2009 attribué à leurs actionnaires 67,5% de leurs bénéfices soit les 2/3, 5% seulement aux salariés sous forme d’intéressement et 27,5% aux investissements, alors qu’une norme plus équitable et plus saine économiquement pourrait être 1/3 aux salariés, 1/3 aux actionnaires et 1/3 aux investissements.

Voir : Décideur. Coopératives de production. Échanges extérieur. Une économie mi-publique mi-privée. Profit maximum ou juste bénéfice ?

Coopératives de production

Finalités sociales et fonctionnement démocratique

Les Sociétés coopératives de production, ou SCOP, sont le meilleur antidote connu au capitalisme libéral orienté vers la seule recherche du profit maximum. Elles sont le moyen, déjà prouvé à grande échelle, de faire entrer la démocratie dans l’entreprise.

Le principe en est simple. Les salariés sont actionnaires de l’entreprise et l’ensemble des salariés détient au moins 51 % du capital. L’entreprise est gouvernée par l’assemblée générale des salariés-associés et, fidèle au principes de la démocratie, chaque salarié-associé ne dispose que d’une voix quel que soit son poids en capital ou sa fonction. Le modèle est démocratique : un homme égale une voix. Alors que dans les sociétés anonymes capitalistes, il n’y a aucune égalité entre les hommes : les actionnaires ont chacun autant de voix qu’ils ont d’euros ; quant aux salariés ils n’ont aucune voix dans des assemblées générales et des conseils d’administration qui décident de l’avenir de leur travail et par là de leurs moyens de vivre.

Dans les SCOP les salariés décident ensemble des grandes orientations de l’entreprise et désignent eux-mêmes leurs dirigeants : président, directeur général, conseil d’administration composé non pas des seuls représentants du capital mais majoritairement de représentants des salariés. 25% au minimum des bénéfices de l’entreprise sont répartis entre les salariés, 33% au maximum vont au capital et 16% au minimum servent à renforcer les fonds propres de l’entreprise. Les bénéfices restants sont répartis librement par l’assemblée des membres de la SCOP.

Ce genre d’entreprise s’insère dans le système capitaliste. Mais au lieu de laisser tout pouvoir à des actionnaires apporteurs de capitaux, le pouvoir est assuré par le personnel. En conséquence, l’organisation du travail est mise en place en concertation avec le personnel, la plus grande transparence existe sur toute la vie de l’entreprise, les salariés se sentent reconnus et sont motivés. Ce sont des entreprises performantes non sous l’angle du rendement financier maximum, mais sous l’angle de la qualité du travail, de la stabilité et de la satisfaction des travailleurs, de la pérennité de l’entreprise.

En 2015 les coopératives de production étaient au nombre de 2.850 en France. On les trouve dans tous les secteurs de l’industrie et des services. La plus importante emploie près de 2.000 salariés. Au total elles regroupaient 51.500 salariés et elles se développent au rythme de 6 à 8 % par an.

Les SCOP reposent, comme toute l’économie solidaire, sociale, alternative, sur la solidarité et la proximité plutôt que sur la compétition. Contrairement aux entreprises capitalistes dont le principal objectif est la recherche du profit maximum, les SCOP sont intrinsèquement liées à leur environnement social, elles concourent à une transformation profonde de la société où l’homme, et non plus la recherche de profits financiers, devient le but premier de l’activité économique.

Autant il faut limiter, encadrer les excès des sociétés capitalistes à finalité purement financière, autant il serait souhaitable que le législateur et les gouvernants mettent tout en œuvre pour soutenir le développement des sociétés coopératives de production.

Voir : Décideur. Compétition ou solidarité. Entreprise privée. Principes de la démocratie. Profit maximum ou juste bénéfice ?

Emploi ou chômage

L’emploi un bien rare à répartir

Le droit à l’emploi fait partie des grands principes républicains, des grands principes de la démocratie. Si on veut que le citoyen soit libre et autonome, dès sa majorité il ne doit plus dépendre de sa famille, de protecteurs ou de l’aide publique.

Le citoyen et la citoyenne ont besoin de gagner leur vie, de travailler, donc d’avoir un emploi. L’emploi n’est pas seulement une source de revenu financier, c’est aussi, ou cela devrait être, le moyen de participer à un projet au sein d’une équipe solidaire dans le travail.

Pour cela, l’entreprise qui les emploie doit être participative. Elle ne doit pas avoir pour seul but le profit maximum, elle ne doit pas exploiter le salarié pour en tirer le plus d’argent possible, ni le rejeter lorsqu’il ne lui procure pas les meilleurs rendements ou lorsqu’elle peut trouver une main-d’œuvre moins chère ailleurs. À cet égard les coopératives de production apparaissent comme la meilleure forme d’entreprise.

Quant aux politiques gouvernementales censées réduire le nombre de chômeurs, elles m’ont toujours laissé perplexe. Elles sont conçues comme si le chômage provenait uniquement du fait que les chômeurs n’étaient pas assez bien orientés vers les emplois vacants ou mal formés techniquement, comme s’il existait une réserve inépuisable d’emplois disponibles. Orientation et formation sont nécessaires, certes, mais cela est loin d’être suffisant. Lorsqu’il y a 3,7 millions de chômeurs recensés, mais en fait près de 5 millions de personnes qui souhaiteraient trouver un emploi, sans compter les étudiants en attente d’emploi, face à 190.000 offres d’emplois non satisfaites1, il faut bien sûr améliorer la formation des ouvriers, employés et cadres et le fonctionnement des pôles emploi,  mais cela ne suffira pas à faire diminuer le chômage de façon significative.

Si le chômage existe, c’est pour plusieurs raisons :

- depuis des décennies, les gains de productivité sont tels, que dans toutes les branches industrielles ou agricoles et dans la plupart des branches de services, comme les banques, les assurances ou le grand commerce, on peut produire beaucoup plus avec beaucoup moins de main-d’œuvre.

- au cours des 60 dernières années, le pourcentage de femmes désirant avoir un emploi a considérablement augmenté. Pour leur autonomie, leur liberté de choix de vie, l’égalité avec leur conjoint, leur insertion sociale, un travail est un droit et une nécessité auxquels elles doivent avoir accès.

- nous sommes passés d’un capitalisme libéral tempéré, dans lequel, au prix de luttes  syndicales, les travailleurs  avaient  une place reconnue, à un capitalisme néo-libéral consacré à la recherche du profit maximum. Allié à la liberté des échanges extérieurs et au très bas coût des transports pour les produits venant des pays à bas salaires, ce capitalisme néo-libéral aboutit à des délocalisations d’entreprises et à délaisser la main-d’œuvre des pays à protection sociale.

- enfin, quoi qu’en disent certains, les automatisations, la robotisation, la numérisation détruisent beaucoup plus d’emplois qu’elles n’en créent. D’autant que comme le dit Jean-Hervé Lorenzi, Président du Cercle des économistes : « Le numérique c’est 10% d’emplois qualifiés et 90% de gens qui font des cartons ».

Face à cela, on lance des politiques locales de créations d’emplois qui reviennent non pas à créer mais à déplacer des emplois en attirant les entreprises par des aides financières directes et indirectes.

On lance aussi des politiques globales pour l’emploi, qui consistent à « relancer la croissance », sans définir de quelle croissance il s’agit, en incitant à produire et à consommer des biens et des services sans utilité sociale ni environnementale, qui ne font qu’augmenter les gaspillages et les pollutions planétaires.

Si on veut résoudre le problème de l’emploi, on sera bien obligé d’en venir à répartir l’emploi, en premier lieu en diminuant le nombre d’heures travaillées pour ceux qui ont un emploi, en détaxant le travail et en taxant au contraire les investissements qui aboutissent à remplacer la main-d’œuvre par des appareillages automatiques, en procédant à des relances sélectives suivant les secteurs d’activité.

Mais pour cela, il serait nécessaire que cette politique de l’emploi soit appliquée dans un périmètre de frontières où un gouvernement, qu’il soit celui de la France, ou mieux celui de l’Europe si l’Europe avait un gouvernement, régule les échanges extérieurs. D’où la nécessité de mettre en place aux frontières de la France et de l’Europe une régulation des échanges extérieurs.

Il faut protéger les entreprises de la concurrence des pays à faibles et très faibles salaires, et soutenir les emplois qui correspondent à des productions non délocalisables : construction de logements, isolation des bâtiments existants, réseaux d’assainissements, services à la personne, formation, etc.

Compte tenu d’une part du nombre de personnes sur le marché du travail, d’autre part du nombre d’heures de travail dont nous avons besoin pour couvrir les besoins de la population, dans des systèmes de productions de biens et de services de plus en plus automatisés, le travail devient un bien limité. Comme tous les biens rares il doit alors être réparti entre tous.

1. Depuis 2014 les Ministre du travail successifs et le Medef parlent de 300.000 à 400.000 offres d’emploi non satisfaites. Une note de Pôle emploi, suite à une enquête menée auprès de 400.000 entreprises, concluait qu’en 2015 seules 190.000 offres d’emploi n’avaient pas été pourvues.

Voir : Coopératives de production. CroissanceÉcologistes politiques. Échanges extérieur. Égalité de droits. Libéralisme. Liberté. Principes de la démocratie. Plan prévisionnel. Profit maximum ou juste bénéfice ?

Syndicats de salariés

Une démarche politique ascendante

On dit beaucoup que les syndicats sont faibles en France. Ils sont pourtant un élément essentiel de la démocratie sociale et économique.

Il est vrai que le nombre de salariés syndiqués, payant une cotisation à un syndicat, est faible. Mais le nombre d’adhérents à des partis politiques est encore plus faible et pourtant on ne dit pas que les partis politiques sont faibles. Ce sont eux qui expriment l’opinion politique et au moment des élections ils sont suivis par 60 à 80 % des personnes inscrites sur les listes électorales.

De la même façon, les mouvements syndicaux sont soutenus et écoutés par 60 à 80 % des salariés. Ils jouent donc un rôle fondamental aussi bien dans chaque entreprise qu’au plan national.

S’ils ne sont pas plus implantés dans les entreprises ou plus puissants en France, c’est pour deux raisons :

- les conseils en organisation remarquent que, dans les entreprises, les patrons ont en face d’eux les représentants du personnel qu’ils méritent. S’ils les prennent en considération, s’ils acceptent de discuter avec eux des objectifs et de l’organisation de l’entreprise, s’ils ne se croient pas déshonorés d’adopter des décisions en commun dans des formes plus ou moins avancées de démocratie participative, alors des hommes et des femmes de valeur acceptent d’assurer des fonctions représentatives.

Inversement, lorsque les représentants du personnel ne sont pas écoutés, les meilleurs se découragent et on voit, dans ces entreprises mal gérées apparaître des mouvements de colère et d’opposition brutale. Les mauvais patrons croient que les troubles sont provoqués par les syndicats, alors qu’à l’origine ils viennent de leur mauvaise gestion.

- l’autre raison de la faiblesse syndicale provient de ce que les institutions, les pouvoirs publics ne reconnaissent pas suffisamment le rôle des syndicats. Dans les pays d’Europe du Nord ou dans les pays germaniques, des conférences annuelles ou biannuelles sont instituées entre partenaires sociaux. Certaines législations interdisent les grèves tant que des discussions patrons/syndicats n’ont pas eu lieu. En France le Grenelle sur les salaires en 1968 est encore cité comme un phénomène exceptionnel après 50 ans !

J’ajouterai que les syndicats ont une démarche politique intéressante. Les partis politiques français tiennent à s’appuyer avant tout sur une plate-forme théorique, le libéralisme à droite, l’économie sociale de marché à gauche. Ils ont plus ou moins de mal à appliquer leurs théories aux réalités économiques et sociales du terrain. Les syndicats, à l’inverse, partent des problèmes quotidiens des salariés sur leur lieu de travail, de même que les associations de consommateurs ou d’usagers, une forme de syndicalisme, partent des problèmes quotidiens de leurs adhérents.

À partir de ces problèmes concrets, les syndicats sont amenés à se demander pourquoi on en est arrivé là et à se tourner vers le système politique pour qu’il légifère et régule. Par cette démarche ascendante, ils sont amenés à partir de leur domaine d’action et de réflexion à formuler des propositions politiques et leurs membres à adhérer à un parti politique. Malheureusement, en temps de crise économique et devant des politiques inégalitaires, les positions conservatrices et corporatistes ont tendance à dominer aussi à l'intérieur des syndicats.

Voir : Coopératives de production. Démocratie participative. Groupes d’Action Locaux. Courants et programmes des partis politiques.

Une économie mi-publique mi-privée

Une des forces de la France

Le terme d’économie est pris ici au sens large, au sens de production de biens et de services.

La force de la France, c’est même l’un de ses meilleurs atouts face à la mondialisation, était d’avoir su développer le secteur public et le secteur privé en complément l’un de l’autre. Chacun est indispensable et l’un n’exclut pas l’autre. La liberté d’entreprendre est importante, mais elle a ses limites.

Lorsque j’étais à la Mairie de Grenoble, dans les années 1970, nous avons reçu un jour une délégation des sociétés privées de gestion immobilière de Grenoble. Ils venaient nous dire qu’ils ne pouvaient continuer à gérer les vieux immeubles en copropriété de Grenoble, il y avait trop de travaux de rénovation à entreprendre et, à la suite d’héritages, les titres de copropriété étaient trop dispersés dans les familles. Ce n’était plus rentable pour du privé, ils nous demandaient, eux les privés, à nous le service public de prendre le relais, ce qui a été fait par des structures para municipales d’économie mixte.

On parle beaucoup de délocalisations d’entreprises ou de départs d’entreprises françaises vers des pays à bas salaires ; cela devrait être freiné par un protectionnisme tempéré ou une saine régulation des échanges extérieurs. Mais certaines années, il y a plus d’emplois créés en France par des sociétés étrangères que d’emplois français délocalisés à l’extérieur.

Ces entreprises étrangères apprécient en France l’existence et la qualité des services publics en matière de santé, de protection sociale, de crèches, de haltes-garderies, de transports, de formation professionnelle, de systèmes de retraites, du bon niveau de recherche scientifique et même de paix sociale, malgré quelques grèves spectaculaires.

Toutes ces ressources, extérieures à l’entreprise privée, lui sont très utiles pour prospérer. L’initiative privée est un moteur de développement, mais pas le seul. Les services publics et leurs programmes d’équipements  publics  dans  des  domaines essentiels mais sans rentabilité financière - logement, santé, transports, énergie, éducation, culture, aides sociales - sont des moteurs puissants de développement économique.

Le public et le privé ont besoin d’être orientés, soutenus, contrôlés par les pouvoirs publics dans un dosage de mixité entre services publics et entreprises privées qui fait la force d’un pays moderne.

Voir : Échanges extérieurs. Entreprise privée. Profit maximum ou juste bénéfice ? Services publics.

Échanges extérieurs

Pas de pouvoir politique sans régulation aux frontières

Il est de bon ton, tant le libéralisme imprègne les esprits des classes influentes qui orientent l’opinion publique, de pousser des cris d’horreur si on parle de protectionnisme. Les « penseurs binaires » assimilent aussitôt protectionnisme à autarcie, font référence à la Russie soviétique, à l’Albanie lorsqu’elle était autiste, à la Corée du Nord, etc. Cela évite de réfléchir et permet de ne pas aborder des évidences qui heurtent les convictions libérales.

Parlons alors d’échanges extérieurs régulés. En effet, il ne s’agit pas de vivre en vase clos, mais de réguler les échanges extérieurs, d’examiner secteur par secteur s’ils sont bénéfiques ou non pour le pays importateur, pour le pays exportateur et pour l’état de la planète. Cela réduit bien évidemment les possibilités de superprofits pour les grandes sociétés commerciales et financières, mais cela protège les productions et les populations locales. Vivre et travailler au pays reste une priorité.

Les exemples d’échanges commerciaux aberrants, dont la seule justification est la recherche de profits maxima grâce à des coûts de transports extrêmement faibles, sont légion. On peut citer l’importation pour paver nos rues de pavés taillés en Chine à partir de blocs de granit transportés du Canada en Chine, puis de Chine en Europe ; des pommes de Nouvelle-Zélande au même prix que les pommes de Normandie dans nos magasins, alors que la France peut produire toutes les pommes dont elle a besoin ; les porcs élevés en Belgique dont les jambons font l’aller-retour en camion à Parme en Italie pour être labellisés jambons de Parme et être vendus plus cher ; les monocultures de coton, d’huile de palme, de café, de canne à sucre, de crevettes et autres dans les pays pauvres qui affament les agriculteurs locaux en les privant de leurs cultures vivrières traditionnelles (céréales, légumes, fruits, petits élevages) ; les poulets industriels vendus par les pays riches dans les pays pauvres à des prix inférieurs aux prix de survivance des producteurs locaux, etc.

Emmanuel Todd1 a très bien montré que, même si lors des périodes de protectionnisme les grandes sociétés commerciales et financières font moins de bénéfices, c’est au cours de ces périodes que les pays d’Europe, les pays pauvres ou les grandes puissances comme les États-Unis et le Japon ont vu leur richesse nationale progresser le plus vite et, surtout, ont vu une amélioration non pas seulement des profits financiers, mais du niveau de vie de l’ensemble de la population.

Actuellement tous les grands pays, les États-Unis ou la Chine par exemple, appliquent des mesures protectionnistes au moyen de normes techniques ou sanitaires, de subventions directes ou indirectes à leurs producteurs nationaux, en limitant les prises de participation financières dans les sociétés nationales décrétées stratégiques ou en réservant les appels d’offres publics aux entreprises nationales.

L’Europe est l’ensemble géographique le moins protectionniste et, par conséquent, le plus soumis à la concurrence de pays qui ne respectent pas les mêmes normes sociales ou environnementales et dont les salaires de base sont 10 à 30 fois inférieurs aux salaires européens.

On a défini la nation comme la construction d’une communauté solidaire. Qu’il s’agisse de la nation France ou de la nation Europe encore à construire, cela n’est pas possible si les frontières sont ouvertes à tous les vents. La démocratie est indissociable d’un territoire régulé.

Il est facile dans les discours de renvoyer la mise en place d’une régulation des échanges extérieurs aux organismes européens ou internationaux. Mais tant qu’il n’existe pas de gouvernement européen et encore moins de gouvernement mondial, c’est à chaque pays de mettre cette régulation en place aux limites de ses frontières.

A  l’intérieur  de  l’Union  européenne,  on  a  voulu  libérer  les échanges commerciaux en disant que la gouvernance commune viendrait forcément. Les États européens ont simplement renoncé à leurs pouvoirs de régulation au profit des entreprises et des groupes financiers privés. On comptabilise les bénéfices financiers de ces groupes comme des progrès, alors qu’ils accroissent les inégalités et la pauvreté et qu’ils sont source de régression sociale.

1.  Emmanuel Todd, « L’illusion économique », Edit. Gallimard, 1999.


Voir : Droite, gauche, écologistes. Europe fédérale future. Libéralisme. Pensée binaire. Profit maximum ou juste bénéfice ? Vitesse.

Mondialisation

Une liberté d’agir au bénéfice de qui ?

La mondialisation avec la mobilité des capitaux, des transports à très bas prix, une circulation des informations et des opinions de façon débridée sur Internet, la suprématie donnée aux plus puissants et aux plus rapides est un fait.

Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut baisser les bras. Il est faux que les pays qui maintiennent des régulations, des répartitions internes et des contrôles sur les échanges extérieurs se portent mal. L’histoire du 20e siècle montre que c’est au cours des périodes de contrôle et de régulation des échanges que les pays industrialisés se sont le mieux développés. Inversement, les pays qui s’ouvrent à des échanges sans contrôle public voient leurs grandes entreprises et leurs sociétés financières accroître leurs bénéfices, mais parallèlement le chômage, les inégalités et la pauvreté se développer.

La mondialisation est l’argument utilisé par les partisans du libéralisme, surtout à droite, mais aussi à gauche, pour promouvoir le laisser-faire et laisser agir les plus forts : on délocalise, on pratique le dumping fiscal et social et l’on brandit comme une victoire les résultats financiers des grandes entreprises et des groupes financiers. Or la finalité de l’économie ne devrait pas être d’abord l’enrichissement des plus riches, des plus affairistes et des actionnaires, mais avant tout une amélioration des conditions de vie des moins favorisés, un développement équilibré des territoires et un meilleur respect de l’environnement.

On en revient au rôle de régulateur, de répartiteur et de prévoyance du futur dévolu aux pouvoirs publics, élus politiques et fonctionnaires. La liberté, pour s’exercer et permettre à tous d’en profiter, doit être encadrée par des règles. Que serait la liberté de circuler sur les routes sans un code de la route et une police pour le faire appliquer ?

La liberté de gouverner dont nous pouvons disposer ne peut être assurée qu’à l’intérieur d’un territoire délimité par des frontières et régi par un pouvoir politique démocratiquement élu. Nous constatons tous les jours comment une Europe réduite à n’être qu’un marché libre, sans gouvernement à l’intérieur de ses frontières, aboutit au chômage et à la pauvreté pour une part de plus en plus grande de sa population.

Avec l’ouverture sans contrainte des frontières, les États-nations perdent leurs pouvoirs de régulation et il n’existe ni gouvernement européen, ni gouvernement mondial pour prendre leur relais.

Contrairement à ce que disent les néolibéraux partisans du laisser-faire, il est maintenant démontré par l’histoire des cent cinquante dernières années qu’il faut mettre en place un pouvoir politique régulateur avant d’ouvrir les frontières entre les pays d’un espace que l’on veut unifier. Sinon, c’est la loi de la jungle qui domine. Les protections douanières sont indispensables pour les pays pauvres comme pour les pays riches, pour établir des échanges équitables qui ne ruinent pas les petits agriculteurs, les petites entreprises et les petits commerçants.

    Les rencontres au sommet des chefs d’États, du type Conseil européen ou G20, sont mieux que rien, mais elles n’ont pas les moyens de s’attaquer sérieusement aux problèmes de la planète. Elles ne sont que des réunions de concertation ou de confrontation à la suite desquelles chacun rentre chez soi et reste libre de faire ce qu’il veut. Quelles catastrophes les hommes devront-ils subir pour qu’un gouvernement mondial doté de forces de police voit le jour ? À ce moment-là n’aurons-nous pas alors dépassé des seuils irréversibles ?

 Voir : Échanges extérieurs. Europe libérale actuelle. Fonctionnaires. Libéralisme. Régulations publiques et modèle français. Seuils limites.