Propositions pour une VI° République démocratique, sociale et écologique


François LALANDE

Vers la démocratie

Eric Piolle, Maire de Grenoble

Notre époque est agitée par un sentiment profond, où le désarroi et l’espoir s’entremêlent. Nous savons, nous sentons, que le siècle que nous vivons n’aura rien de commun avec le siècle précédent. Les évidences d’hier ne correspondent plus au monde qui vient. Le défi de notre moment est de commencer, d’être à l’affût, attentifs aux signaux faibles et pas seulement aux signaux forts des grands mouvements de contestation. De mettre inlassablement en débat les habitudes pour forger les repères de ce qui vient. L’avenir nous appelle, mais sa voix n’est pas encore tout à fait claire à nos oreilles. Certains y voient une époque de crise et d’effondrement. D’autres une transition à saisir, entre deux cycles. Inventer, oui, mais quoi ? Comment ? Et avec qui ? Changer, oui, mais en suivant quel cap et quelle méthode ? 

Le dérèglement climatique, l’explosion des inégalités, la désaffiliation de toujours plus de citoyens, nous le savons. Les rapports, les pétitions, les appels s’accumulent. « Nous avons dénoncé. Le moment est venu d’énoncer», comme le dit Edgar Morin. De proposer. D’enfin donner forme au monde de demain. C’est le défi que nous lance ici François Lalande. Des chemins plus faciles auraient été possibles. Des chantiers intermédiaires étaient à portée de sa main. Il gravit, et c’est heureux pour nous lecteurs car nécessaire, le monde de demain par la face nord : il ouvre le chantier de la démocratie. 

La démocratie en devenir

Par définition, la démocratie est un chantier perpétuel. Le régime de l’effort permanent. Un échafaudage. C’est même à cela qu’on la reconnaît. L’empire et la monarchie, eux, se contentent aisément de sacraliser une forme hors du temps, à l’abri de l’histoire et de ses tumultes, une forme faite pour durer 1000 ans. La démocratie est percutée de toute part par l’histoire, et c’est cette percussion que travaille François Lalande. La Ve République est née d’un contexte historique, politique et social, qui n’a plus rien à voir avec notre quotidien. Les gilets jaunes, au-delà de leurs revendications hétéroclites, sont aussi une manifestation du décalage, de la rupture fondamentale, entre les règles institutionnelles qui portent notre pays et les aspirations majoritaires de la population. De Gaulle maniait la « présidence jupitérienne ». Malheurs à ceux qui, en matière d’incarnation démocratique, se trompent de siècle …

Je mesure chaque jour, en tant que maire de Grenoble, le décalage entre les règles du jeu de notre vie publique et les défis de l’époque. Nos outils sont d’un autre temps. Partout la société civile et les habitants, en experts du quotidien, perçoivent un certain retard des pouvoirs établis. Ce décalage, en réalité, est à l’origine de mon engagement récent dans la vie publique : il nous faut construire nos propres outils. Innover. Etre audacieux. La tâche est immense, à la mesure de l’urgence. Certains diront que ce n’est pas en commençant par une ville que les choses changeront : après tout, la commune est le dernier maillon de la République, le bas de l’échelle administrative. L’Accord de Paris issu de la COP21 reconnaît, dans sa grande sagesse, aux territoires et aux communes la fonction essentielle de premiers acteurs de la transition écologique. 

Au contact des habitants, de leur besoins, de leurs aspirations, de leurs vécus, nous, les communes, pouvons impulser le changement. Ça ne se terminera pas par les territoires : cela commencera par eux. D’ailleurs l’article 71 de la Constitution nous garantit la liberté d’expérimentation démocratique. 

L’expérience de Grenoble

Depuis toujours, Grenoble cultive cette liberté constitutionnelle. Je mesure ce que je dois, ce que les Grenobloises et Grenoblois doivent à l’audace de l’équipe municipale animée par le maire Hubert Dubedout, dont François Lalande fut un acteur clé. Une décennie avant que François Mitterrand les fassent entrer dans la légalité, c’est à Grenoble que les premières associations d’étrangers virent le jour. Notre ville accueille des migrants des cinq continents, et tous les horizons. C’est une fierté que je rappelle à chaque fois qu’il m’est donné de le faire : le rôle d’une commune est d’accueillir celles et ceux qui veulent appartenir à la Cité. D’où qu’ils viennent. Quel que soit leur âge.

Modestement, avec une détermination sans faille, nous nous inscrivons dans les pas de cette longue tradition d’innovation démocratique à la Grenobloise… jusqu’au point parfois de nous heurter à une interprétation étriquée de l’actuelle constitution. Qui innove éprouve parfois les limites et est amené à les remettre en question. Qui ne risque rien ne peut s’améliorer. Il faut tenter, essayer. Sans essais, pas d’apprentissage. A Grenoble, plus qu’ailleurs, nous savons cela. Avant l’élection municipale de 2014, Grenoble était paralysée par les oppositions spontanées face aux grands projets d’urbanisme portés par une municipalité sortante usée. Des parents d’élèves debout contre l’abandon des écoles aux habitants des quartiers où des grattes ciels devaient sortir du sol, en passant par les lycéens et professeurs, les « Mouniers », mobilisés contre la fermeture d’un lycée populaire de la Ville. Ces collectifs vinrent contribuer au rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes et à la rédaction de ses 120 engagements : budgets participatifs, création de Conseils Citoyens Indépendants dans les quartiers et référendum d’initiative citoyenne.

C’est sur ce dernier point que Grenoble, fidèle à son histoire, s’est trouvée à ce point en avance sur son temps qu’en 2018 le gouvernement fit interdire l’outil du référendum par voie légale. Il s’agissait de donner la liberté à tous les Grenoblois de plus de 16 ans, français ou non, à propos de telle ou telle mesure adoptée par le Conseil municipal, de déclencher une pétition qui puisse aboutir à l’ouverture d’une nouvelle délibération. Dès le dépôt de 2000 signatures, le Conseil municipal s’engageait à porter la question à l’ordre du jour. S’il revoyait sa copie, et décidait de voter une réorientation, fin de l’histoire. S’il refusait de revoir sa copie, cela déclenchait une votation où chacun pouvait voter, dans toute la ville, pendant une semaine complète. Si la votation donnait raison aux pétitionnaires contre la Ville avec plus de 20.000 soutiens, la Ville annulait la décision votée par les élus et se rangeait du côté des citoyens. Le gouvernement a considéré que l’outil était inconstitutionnel car il mettait le pouvoir des citoyens au-dessus de celui des élus : les premiers pouvant faire annuler une décision votée en séance par les seconds. Dont acte. Le référendum d’initiative citoyenne a du être retiré, mais le droit d’interpeller le conseil municipal reste bien en place.

Quant aux budgets participatifs, ils ont été mis en place. Ils permettent aux habitants dès l’âge de 16 ans, aux collectifs et aux associations de proposer et de voter des projets qui participent à la transformation de la ville, à l’amélioration du quotidien en matière d’espaces publics, de solidarités, de jeunesse, d’isolation de bâtiments, de culture, de nature en ville, et tous autres projets pour l’ensemble de la ville ou pour des quartiers déterminés. Chaque année le nombre de citoyens participants augmente, il était de 5625 grenoblois en 2018.

Le citoyen au cœur de la cité

Le défi qui nous attend, et qui sera l’un des défis de la décennie 2020-2030, reste le même : donner au citoyen la liberté de contribuer à la vie de la Cité au quotidien, sur ce qui a de la valeur à ses yeux. Pas uniquement une fois tous les six ans avec son bulletin. Nous faisons l’expérience, ici à Grenoble, combien certaines règles de la vie démocratique produisent de l’exclusion là où, au contraire, elles devraient permettre à chacun de participer et de contribuer.

Oui, la sociale-écologie est le chantier des années à venir : personne ne doit rester au bord de la route et la solidarité doit redoubler lorsque le changement de mode de vie intervient. La transition démocratique, celle qui remet le citoyen, l’habitant, au coeur de la vie de sa cité, est essentielle pour mettre notre société sur les rails de son avenir. Face à l’incertitude du temps présent, où angoisse et espoir se côtoient, remettre sur le métier notre démocratie comme nous y invite le présent essai de François Lalande, poursuivre ce chantier entrepris il y a plusieurs siècles est une façon généreuse de faire en sorte que l’espoir l’emporte.