Propositions pour une VI° République démocratique, sociale et écologique


François LALANDE

Vers la démocratie

Objectifs et moyens en politique

Pas d’objectifs sans les moyens correspondants

Les objectifs généreux ne manquent pas dans les discours politiques.

À droite, on annonce que tout va aller mieux pour tout le monde à condition de laisser plus de libertés aux plus riches et aux plus forts, on apporte des aides directes ou indirectes aux entreprises privées, on augmente les inégalités, on appauvrit les plus faibles, mais on sait faire rêver.

Parce que ses objectifs concernent un plus grand nombre de citoyens, la gauche est plus démocratique que la droite. À gauche – il s’agit ici des hommes et des femmes réellement de gauche et non de ceux qui se proclament de gauche pour des raisons historiques ou électorales, mais dont les actes démentent leurs professions de foi – donc à gauche tout le monde est d’accord pour plus de protection sociale, pour une amélioration des droits des travailleurs et une plus juste rémunération de leurs efforts, pour un meilleur système de santé public au service de tous sans distinction de revenus, un développement de la recherche et de la culture, une plus grande efficacité des outils d’enseignement et de formation. Bref, pour des services publics au service de tous.

Mais les discours politiques et les politiques mises en place doivent être jugés autant sur les moyens que sur les objectifs. En matière d’enseignement, par exemple, les moyens ne sont pas une condition suffisante pour dispenser un bon enseignement, mais ils sont nécessaires. Un collège ou un lycée devrait avoir des classes qui ne dépassent pas 16 ou 18 élèves, au lieu de monter à plus de 30 élèves par classe ; il devrait compter des professeurs et des surveillants en nombre suffisant, alors que certains lycées n’ont que 2 surveillants pour 1 200 élèves. Les salles de classe doivent être correctement isolées du bruit, correctement chauffées et disposer des matériels informatiques de base. Les enseignants doivent pouvoir compter dans leur temps de travail les réunions de concertation entre eux, avec les élèves et avec les parents. À partir de ces moyens minima, et à partir de là seulement, on peut demander au système d’enseignement d’être performant, démocratique et de s’adapter aux différents types de population des élèves.

Les meilleurs professeurs, les meilleures bonnes volontés ne peuvent rien faire de bon sans moyens suffisants. Il en est de même pour la justice, la police ou les hôpitaux. Dans tous les domaines, des moyens de travail suffisants sont une condition nécessaire pour permettre de travailler sérieusement, qu’il s’agisse d’entreprises privées ou de services publics.

Où  trouver  les  moyens  lorsqu’il  s’agit  de  services  publics ?

En supprimant ou réduisant les trop nombreux gaspillages et les dépenses publiques inutiles : armée, suréquipements en matière de transports, projets impasses en matière d’énergie nucléaire, grands projets destinés à satisfaire l’ego de patrons ou d’hommes politiques qui veulent « laisser une trace ». En répartissant mieux l’impôt et en le rendant plus juste. Les impôts locaux sont si mal répartis que cela limite les capacités des collectivités à lever l’impôt. Les niches fiscales injustifiées, les réductions d’impôts accordées aux plus riches, les allègements de charges pour les entreprises restent un scandale et représentent des pertes de dizaines de milliards d’euros pour l’État. Les farces du bouclier fiscal et de la réduction de la TVA pour la restauration ont couronné le tout. Encore une fois, une politique ne se juge pas seulement aux objectifs énoncés, elle se juge aux moyens affectés à ces objectifs.

Voir : Conditions nécessaires et suffisantes. Droite, gauche, écologistes. Gaspillages. Paris ou la province. Services publics.

Conditions  nécessaires et  suffisantes

Conditions à remplir pour une vraie démocratie

Les responsables politiques et les commentateurs de la vie politique ont beaucoup de mal à faire la distinction entre conditions nécessaires et conditions suffisantes. En général il faut que plusieurs conditions nécessaires soient réunies pour que, ensemble, elles deviennent suffisantes.

Ainsi un vote libre et le suffrage universel sont des conditions nécessaires pour que l’on puisse qualifier une collectivité de démocratie, mais elles sont loin d’être suffisantes à elles seules. Tout le monde sait que le régime hitlérien a été institué par une suite de votes qui respectaient les règles d’institutions démocratiques et que la majorité élue en sa faveur a aboli légalement la démocratie au profit du fascisme. Les dictatures peuvent être le résultat d’un processus électoral démocratique dont l’utilisation est dévoyée.

Des élections, par exemple, sont une condition nécessaire de la démocratie, mais encore faut-il qu’elles soient libres, que les partis et les candidats puissent librement s’exprimer. Et lorsque c’est le cas, pour que le niveau de démocratie soit tel que l’on puisse parler d’un régime démocratique, il faut que l’ensemble des principes énoncés au chapitre « Principes de la démocratie » soit respecté. Chacun de ces principes est nécessaire, mais aucun n’est suffisant à lui seul.

Voir : Intelligence et jugement juste. Principes de la démocratie. Critères de la démocratie.

Seuils limites

Au-delà de seuils limites on régresse

En 1990, le Parlement européen avait mis en place un groupe de réflexion, le groupe « Transports 2 000 + », sur l’avenir des transports et leurs conséquences sur l’aménagement du territoire et notre mode de société. Ce groupe « Transports 2 000 + » a auditionné plus de 200 experts, économistes, géographes, professionnels des transports. Il en est ressorti un rapport épais et passionnant.

Edgar Pisani, alors député européen, qui coprésidait ce groupe de réflexion en avait tiré une synthèse intitulée « Vers une stratégie européenne des transports » datée de mars 1991. Il écrivait : « Depuis quelques années, un seuil semble avoir été franchi au-delà duquel toute augmentation du trafic engendre une multitude de phénomènes contre-productifs, dont la somme paraît réduire à néant le supplément de richesse, d’efficacité, de confort ou de bien-être qui devrait résulter de cette augmentation. Ces phénomènes négatifs croissent désormais plus vite que le trafic. Ils menacent d’atteindre un niveau insupportable ». C’est ce que j’appelle le « Théorème de Pisani ». Il s’applique bien au-delà de la seule problématique des transports.

Il est indéniable que pendant 150 ans les accroissements de vitesse et de capacité des transports, autos, camions, trains, avions, bateaux ont été une source fantastique d’augmentation d’échanges économiques, de libération et de progrès humains. Mais sur notre petite terre et dans la vie, les accroissements exponentiels rencontrent toujours des limites, au mieux par une courbe en S dans laquelle les progrès plafonnent, au pire et bien souvent, par une courbe de Gauss, courbe en cloche par laquelle au-delà de certains seuils on régresse.

Ce théorème s’applique à l’ensemble des activités humaines. Trop de concentrations urbaines, trop d’informations, trop de consommation d’énergie, trop de concentrations financières, trop de déplacements de populations, trop d’innovations techniques, trop de vitesse aboutissent à des effets négatifs. Dans tous les domaines, les dépassements de seuils limites mettent en danger la planète et font régresser le bien-être d’une grande part de sa population et peut-être bientôt de la majorité de sa population.

Il en est ainsi des transports. Lorsqu’ils deviennent trop rapides, trop peu chers, trop abondants, ils permettent aux riches, aux forts, aux puissants de piller les ressources des pays pauvres, d’utiliser leur main-d’œuvre en laissant sur le carreau la main-d’œuvre de leurs propres pays. C’est la négation de la démocratie.

Bien avant notre époque, Paracelse, médecin philosophe de la Renaissance avait dit : « Tout est poison, rien n’est poison, tout est dans la dose ».

Voir : Croissance. Progrès. Radicalisme.

Pensée binaire

Le refus du moyen terme et du juste milieu

Il est surprenant de constater chaque jour combien de commentateurs, de journalistes, de décideurs, de chefs d’entreprises, de responsables politiques, de « penseurs » ne raisonnent que par blanc ou noir, que par un extrême ou son opposé. Pas de milieu, pas de moyen terme.

Depuis des décennies, on ne sait qu’opposer libéralisme et communisme, libre échangisme et autarcie, croissance matérielle sans fin ou retour à la préhistoire. Si vous n’êtes pas d’accord avec l’un des extrêmes, on vous accuse d’être partisans de l’autre extrême. Cela évite de réfléchir, de juger.

Un jour où j’exprimais mon scepticisme sur la possibilité de faire vivre ensemble sur un pied d’égalité 27 ou 28 pays en Europe, un jeune et brillant économiste m’a répondu : « Ainsi vous voulez une Europe réduite à la France et à la Corse ? ». C’était une boutade, mais cela traduisait une forme de pensée binaire.

Cela commence à changer un peu, mais depuis 50 ans lorsqu’un écologiste  parlait  de  modérer  les  consommations  d’énergie,  on lui répondait qu’il voulait revenir à la bougie. S’il disait que le développement exponentiel des transports ne pouvait durer indéfiniment, on lui répondait qu’il regrettait le temps des diligences. S’il disait qu’il fallait limiter les gaspillages, on lui répondait qu’il voulait revenir à l’âge des cavernes.

Et pourtant, tout dans la vie humaine, dans la vie sociale, dans les délicats équilibres écologiques de la planète est une question d’équilibre entre des forces contraires, tout est une question de juste milieu. Encore une fois : « Tout est poison, rien n’est poison, tout est dans la dose ».

Les sciences dites exactes ont permis nos développements techniques, mais elles ont contribué à développer des certitudes en tout ou rien, en blanc ou noir. Le vivant, au contraire, est fait de mixité, de forces variées qui doivent trouver leur juste équilibre. Les penseurs binaires, dont certains peuvent être très brillants et bardés de diplômes et de connaissances, ne tiennent en général pas grand compte de la vie réelle.

La démocratie exige le débat, la confrontation ; parfois on tranche dans un sens ou dans un autre, mais le plus souvent on aboutit à un compromis.

Voir : Intelligence et jugement juste. Seuils limites.

Mots fourre-tout

Ne pas fausser le débat démocratique

Les leaders politiques, les responsables économiques et les commentateurs  médiatiques  utilisent  couramment des termes qui ne veulent rien dire si on ne précise pas le sens qu’on leur donne. Plus le terme est imprécis, plus on l’affirme comme s’il s’agissait d’une évidence reconnue par toute personne, soi-disant intelligente et compétente. Leur emploi à l’emporte-pièce fausse le débat démocratique. Si on veut un débat sérieux, il faut préciser de quoi on parle.

Croissance, quelle croissance ? Celle de la production et de la vente d’armes, des gadgets techniques, des produits jetables, des résidences secondaires sous-utilisées, des autoroutes et des TGV surdimensionnés par rapport aux besoins socialement et économiquement utiles ? Ou la production de logements sociaux, de transports en commun, de centres de santé, de réseaux d’assainissement, d’écoles et de facultés, d’entreprises à main-d’œuvre locale ?

Réformes, quelles réformes ? Des changements qui permettent d’adapter la production de biens et de services aux besoins essentiels du plus grand nombre et des laissés pour compte ? Ou des retours en arrière favorisant les plus fortunés, les plus savants et les détenteurs de pouvoirs ?

L’Europe, quelle Europe ? Un grand marché libre livré aux groupes commerciaux les plus puissants et aux profits de la finance ? Ou une Europe fédérale dotée d’un gouvernement élu démocratiquement et disposant de pouvoirs de régulation ?

Progrès, quelles sortes de progrès ? Des innovations techniques inutiles socialement et ruineuses pour la planète ? Ou des améliorations apportées à la santé, la tranquillité et la vie de tous les jours des citoyens ?

Développement durable, à quel terme ? Apple, Amazon, Google, Microsoft, Facebook, les sociétés du CAC 40 en France sont pour que le type de développement actuel soit « durable », au moins à court terme, et bénéfique pour leurs profits financiers.

Ces mots fourre-tout, abondamment utilisés dans tous les débats politiques, ne devraient jamais être employés seuls ; ils ont besoin de qualificatifs qui précisent le sens qu’on leur donne. Il serait alors moins facile de tenir des discours vagues, grandiloquents et péremptoires.

Voir : Croissance. Europe libérale actuelle. Progrès. Réformes.

Suffrage universel

Un pouvoir réformateur ou un pouvoir conservateur ?

Le suffrage universel a été la source de progrès sociaux indéniables, à côté de l’enseignement public obligatoire, de la médecine et des transports.

À une époque, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, où 80 % de la population vivait dans la pauvreté et la précarité, le suffrage universel amenait au pouvoir des majorités en faveur de progrès sociaux. Mais au XXIe siècle, si 20 % de la population des pays développés vit encore dans des conditions matérielles insuffisantes en matière de logement, de formation, de loisirs ou de capacité à circuler, 80 % dispose des conforts et des services de base et, face aux incertitudes économiques ou politiques, préfère conserver et protéger ses acquis.

 En conséquence, le suffrage universel est devenu conservateur, il favorise les partis de droite ou de centre droit.

On en vient alors à la théorie que Pierre Mendès France nous développait en privé lorsqu’il était député de Grenoble. La France est un pays à majorité conservatrice, ce que confirment les enquêtes d’opinion. Aussi est-elle le plus souvent gouvernée par la droite. Mais les lois et les politiques des gouvernements de droite n’accompagnent pas l’évolution de la société, aussi au bout d’un certain laps de temps, en général une dizaine d’années, l’écart entre les besoins de la société civile et ce qu’admettent les partis majoritaires devient trop grand. D’où une crise. La gauche vient alors au pouvoir, mais seulement pour un temps limité pendant lequel elle réalise les réformes d’adaptation nécessaires.

C’est ainsi que nous avons eu le Front populaire en 1936, les réformes du Conseil de la résistance en 1945 et 1946, le gouvernement Pierre Mendès France en 1954. La « révolution » de mai 1968 qui a obligé les gouvernements de droite à accepter des réformes. En 1981 le Gouvernement Mauroy a mené une politique de gauche, mais en 1983 il a viré au centre droit. Dans les années 1990 les gouvernements Rocard et Jospin ont réalisé quelques réformes.

La crise économique, les menaces énergétiques et climatiques permettent aux gouvernements de droite de s’appuyer sur l’inquiétude des électeurs. D’autant que les dirigeants bling-bling ou proches des milieux d’affaires, comme Sarkozy, Macron ou Trump, ont su perfectionner la comédie politique médiatique. L’Assemblée nationale devient de plus en plus conservatrice ou liée aux favorisés et à la défense des intérêts acquis.

Il n’est pas question d’abandonner le suffrage universel, parce que tout autre système favoriserait encore plus les puissants et les possédants. C’est là que la séparation des pouvoirs — législatif, exécutif, judiciaire, des médias indépendants, les syndicats, les associations d’usagers, une seconde Chambre économique et sociale, c’est-à-dire un Sénat modernisé — a besoin d’être légalement organisée et réellement mise en œuvre. Il ne s’agit pas d’attendre le grand soir révolutionnaire, mais de préparer une venue au pouvoir, même temporaire, d’une gauche radicale capable d’adapter nos institutions aux besoins d’une société moderne.

Voir : Constitution d’une VIe République. Droite, gauche, écologistes. Radicalisme. Réformes.

Lobbies et politique

Un risque permanent pour la démocratie

Un lobby, terme américain, définit une organisation chargée de défendre les intérêts d’une entreprise, d’un groupement d’entreprises, d’une branche professionnelle ou de divers groupes d’intérêt. Il intervient auprès des hauts fonctionnaires des administrations nationales ou internationales, des élus politiques et auprès des journalistes qui influent sur l’opinion des citoyens et des décideurs.

Par assimilation on parle parfois de lobbying à propos des ONG ou d’associations qui défendent l’intérêt général. Mais les lobbies qui perturbent le fonctionnement démocratique sont ceux qui défendent des intérêts financiers particuliers ou les intérêts d’une corporation en opposition avec l’intérêt général.

Ils agissent ouvertement par des publications et des dossiers « orientés » remis à la presse, aux services qui préparent le travail des élus ou directement aux hommes politiques membres de commissions spécialisées. Leur travail peut prendre aussi la forme de démarches occultes et aller jusqu’à la corruption : verser des sommes d’argent aux partis politiques, aux fonctionnaires et aux hommes politiques contactés ou prendre en charge certains de leurs frais professionnels ou personnels.

En France les lobbies les plus connus ont concerné l’amiante, l’énergie nucléaire, le bâtiment et les travaux publics, les céréaliers, les betteraviers, les vignerons, les farines animales, le sang contaminé, les OGM, plus récemment les nanotechnologies, etc.

Au niveau de l’Union européenne on recense environ 30 000 personnes travaillant pour des lobbies chargés d’influencer les services et les parlementaires, presqu’autant que d’employés travaillant pour la Commission européenne. 10 % seulement représentent des ONG à buts désintéressés.

Différents pays, comme les États-Unis ou le Canada, l’Union européenne de son côté, ont essayé d’encadrer et de rendre publiques les activités de lobbying. On oblige les lobbyistes à se faire enregistrer sur des registres consultables sur Internet et à publier les noms de leurs clients. On leur demande de souscrire à des codes de déontologie, de décrire leur action, de faire connaître leurs modes de financements.

Mais tout cela est bien limité et ne peut empêcher les contacts et les démarchages obscurs. Le meilleur moyen de lutter contre les lobbies reste l’organisation en commissions et en séances plénières de débats contradictoires largement relayés par les médias, la presse et la télévision.

Des commissions indépendantes et pluripartites, comprenant des représentants des différents partis politiques, mais aussi de toutes les parties intéressées, doivent éclairer les décideurs au cours de débats publics. La transparence est ici fondamentale.

Un haut niveau de démocratie implique enfin que les citoyens, qui auront à supporter les conséquences des décisions, participent au débat, au travers des associations qui les représentent, en bénéficiant de temps de parole et de moyens de secrétariat et d’expertise suffisants pour leur permettre d’être des interlocuteurs à part entière.

Voir : Commissions indépendantes. Démocratie participative. Fonctionnaires. Minorités. Principes de la démocratie.

Commissions indépendantes

Éclairer les citoyens et les décideurs

La démocratie a besoin d’informations pluralistes et de lieux de débat public. La plupart des dirigeants élus ont une forte propension à déformer les faits pour ne pas inquiéter leurs électeurs et les flatter dans le sens de leurs idées, car l’un des objectifs fondamentaux d’un élu, sauf à quelques exceptions près, est de se faire réélire.

La première forme de débats contradictoires est représentée par les débats qui doivent se dérouler devant les Commissions parlementaires et ensuite à l’Assemblée nationale. À condition que ces commissions soient composées à la proportionnelle des groupes parlementaires, qu’elles entendent des experts et des représentants d’associations et que leurs débats soient publics.

Un second lieu de débat contradictoire devrait être le Sénat. Mais un Sénat modernisé, résultant d’une fusion du Sénat et du Conseil économique et social, comme devrait le proposer la Constitution d’une VIe République.

Cela ne suffit pas, parce que dans les assemblées élues des oppositions systématiques, ou parfois des connivences, peuvent s’instaurer entre majorité et opposition et fausser les débats. Le troisième niveau de débat contradictoire doit alors être celui de Commissions indépendantes. Sur des sujets particulièrement complexes des commissions indépendantes, chargées de donner l’avis des experts et des milieux spécialisés, peuvent poser les éléments du problème et faire des propositions. Il s’agit à chaque fois d’organiser un large débat public. Deux conditions sont importantes : ces commissions doivent recevoir les moyens de travail nécessaires : locaux, secrétariat, budget d’expertises ; il est préférable qu’elles soient temporaires afin de permettre à des personnalités de la société civile d’y participer et d’assurer un renouvellement de leurs membres.

En ce qui concerne les « experts », ingénieurs, architectes, juristes, financiers, leur contribution est indispensable, mais elle ne doit pas devenir abusive. On ne doit pas confondre le savoir et l’expérience qu’ils apportent avec la synthèse et l’opportunité de la décision à prendre. Trop de responsables politiques laissent la décision aux « experts » et essayent ainsi d’esquiver le débat public et leurs responsabilités.

Dans tous les cas, les décisions finales doivent être prises par les élus des assemblées délibératives ou par l’exécutif placé sous la responsabilité et le contrôle de ces assemblées. Dans la mesure où les élus et leurs électeurs auront été correctement informés par des débats contradictoires publics, les décisions auront plus de chances de répondre aux besoins réels et plus de chances d’être acceptées. Nous nous situons là, bien sûr, dans un système de démocratie parlementaire et non dans une monarchie à la française où le monarque-empereur, pourvu qu’il sache séduire les foules et jouer sur leurs craintes – le plus bel exemple en est donné par Emmanuel Macron - peut décider à peu près n’importe quoi, comme bon lui semble.

Les  « Grenelles »,  comme  a été celui  de  l’environnement,  sont  une bonne chose. Mais le tragique, dans notre système actuel, est que le prince décide seul à la sortie. Il était effarant, à l’issue du Grenelle de l’environnement de 2007, par exemple, que les conclusions n’aient pas tout simplement été présentées aux Commissions parlementaires pour préparer un débat sérieux devant le Parlement. Au lieu de cela, les commentateurs et les responsables politiques n’ont eu de cesse de dire : « Que va décider le Président ? ».

Dans une véritable démocratie, des Commissions pluralistes et indépendantes sont indispensables et ce n’est pas au Président de la République de décider de tout directement ou indirectement.

Voir : Constitution d’une VIe République. Décideur. Président de la République.

Contre-pouvoirs

Pour une coopération plutôt qu’une opposition des pouvoirs

La notion de contre-pouvoirs est très insatisfaisante. C’est celle de la reconnaissance d’un pouvoir tout-puissant auquel il faudrait opposer des contre-pouvoirs. On reste dans la monarchie élective à la française, bien piètre niveau de démocratie. Il ne s’agit pas d’opposer les pouvoirs, mais de les rendre complémentaires.

Pour cela, il serait préférable de mettre en place dans une Constitution moderne une véritable séparation des pouvoirs et la recherche du débat organisé, de compromis obtenus entre les différentes parties prenantes, entre les différents pouvoirs.

C’est l’orientation qu’il faudrait donner à une Constitution de la VIe République en redonnant le pouvoir qui leur revient au Parlement et à ses commissions, en mettant en place une deuxième Chambre représentant les forces sociales et économiques, en finançant des commissions indépendantes et en reconnaissant officiellement le rôle des associations d’usagers et le rôle des experts.

Dans les entreprises, une organisation de cogestion devrait inclure dans les instances décisionnelles des représentants des employés, des cadres, de la collectivité territoriale accueillante. En Allemagne, lorsque l’entreprise rencontre un problème, on cherche d’abord à réunir tous les intervenants autour de la table pour élaborer des solutions en commun. En France, le patronat se drape dans son pouvoir tout puissant, il instaure une véritable guerre de tranchée contre les représentants du personnel ou les syndicats et ensuite il se plaint de l’attitude combative des syndicats. Je l’ai constaté de nombreuses fois au cours de ma carrière, ayant travaillé dans des organismes professionnels patronaux et ayant été amené à entendre les positions des uns et des autres.

Les coopératives de production montrent par l’exemple qu’il est possible d’organiser de façon institutionnelle une coopération plutôt qu’une opposition des différentes composantes humaines de l’entreprise.

Voir : Associations loi 1901. Commissions indépendantesConstitution d’une VIe République. Coopératives de production.

Médias, presse écrite, Internet

Un des fondements du débat démocratique

Une information critique est un des principes fondamentaux de la démocratie, elle en est indissociable. C’est le rôle des médias : presse, radio, télévision, Internet.

La presse de réflexion, par exemple, est indispensable pour un bon fonctionnement de la démocratie. Elle doit permettre de prendre du recul sur les événements et de publier des articles d’information ou d’opinion qui apportent aux citoyens matière à débat et à approfondissement. Elle est indispensable pour analyser, interpréter les évènements et corriger les fausses nouvelles, les rumeurs qui circulent notamment sur les réseaux sociaux.

Malheureusement, on constate une perte de qualité dans le fonctionnement de la démocratie depuis qu’on est passé d’une information écrite, qui demandait un temps de réflexion et de rédaction pour être formulée et quelques jours pour être transmise, à une information immédiate par la radio ou la télévision soumises à la recherche du sensationnel et du dramatique. L’information absorbée chaque jour par le plus grand nombre de citoyens ne repose plus sur la réflexion, mais principalement sur l’émotion instantanée, sur des informations brutes ou sur des rumeurs.

Une information libre est indispensable, mais encore faut-il que cette information soit pluraliste et aussi objective que possible. Or nos médias modernes déforment souvent autant qu’ils informent, ce qui est grave pour la démocratie.

Les penseurs binaires des médias vont prétendre, comme chaque fois qu’on critique presse et télévision, que je veux attenter à la liberté de la presse. Cela permet de fuir le débat, de conserver ses privilèges et de ne pas réfléchir aux remèdes nécessaires pour améliorer la situation actuelle.

Il y a de très bons journalistes, consciencieux et impartiaux. Malheureusement, on peut aussi devenir journaliste simplement parce qu’on écrit vite, on a de l’entregent ou on est disponible à toute heure. Combien d’entre nous n’ont-ils pas été étonnés de lire sur des sujets ou des affaires qu’ils connaissaient personnellement des articles où l’invention flirtait avec les contre-vérités ?

Quant aux bons journalistes, leur journal a besoin d’attirer les lecteurs s’il veut survivre financièrement ; leur chaîne de télévision se préoccupe avant tout d’avoir de bons résultats à l’audimat, si elle veut conserver ses financements. Résultat, la rédaction en chef impose des titres à la recherche de scoops et de sensationnel, et de nombreuses fois on constate, même dans de grands journaux réputés sérieux, que le titre d’un article déforme complètement en l’amplifiant ou en le contredisant le contenu de l’article, quand ce n’est pas l’article initial lui-même qui a été remanié.

À cela s’ajoute un défaut français, que l’on trouve beaucoup moins dans la presse anglo-saxonne : les journalistes patentés mélangent sans vergogne leurs opinions personnelles aux informations qu’ils rapportent. Aux États-Unis, les journalistes différencient très clairement les articles d’information et les articles appelés « éditoriaux » où ils donnent leur propre opinion.

Quelques mesures simples assainiraient la situation :

- la presse écrite, la radio et la télévision devraient recevoir pour leur partie information et débats des financements publics, accompagnés d’un cahier des charges, comme c’est le cas pour les autres pouvoirs fondements de la démocratie : le législatif, l’exécutif, la justice, l’éducation, etc.

- il devrait leur être imposé de séparer clairement l’information, c’est-à-dire le rapport des faits et des opinions recueillies, et l’expression de leurs opinions et jugements personnels, qu’ils soient positifs ou négatifs.

- toute personne, toute organisation citée devrait avoir un droit de réponse dans un emplacement ou un moment d’antenne correspondant à celui où elle a été citée.

Internet est devenu en quelques années un moyen formidable de diffusion d’informations et d’opinions. Mais c’est en grande partie de l’information et de l’expression brutes du type café du commerce ou conversation de salon. Que ce soit sur le Web ou dans les médias traditionnels, le rôle de véritables journalistes capables de trier, de contrôler la véracité des faits et d’analyser reste absolument indispensable.

Voir : Liberté. Principes de la démocratie. Pensée binaire

Courants et programmes des partis politiques

Voter sur chaque point du programme au sein d’un parti politique

Le parti socialiste, quels que soient les reproches qu’on a pu lui faire par ailleurs, a eu le mérite d’essayer de se donner un fonctionnement démocratique par lequel chaque militant pouvait participer au vote. Les partis de droite, qui se gaussent de ce qu’ils appellent les chamailleries des dirigeants socialistes, n’ont pas droit à la parole en ce domaine : chez eux tout se fait par acclamation et par alignement derrière le chef providentiel. Les quelques votes qui y sont organisés ne sont que des parodies de démocratie.

Les courants à l’intérieur de tout parti sont naturels, ils enrichissent le débat démocratique. Ceux qui sont d’accord avec les objectifs d’un parti adhèrent à ce parti, mais ils ne sont pas forcément d’accord à 100 pour 100 avec les objectifs annoncés ou sur la stratégie de conquête du pouvoir. Les militants se divisent alors et ceux qui sont les plus proches les uns des autres se regroupent en courants politiques. Cela leur permet de travailler ensemble, d’approfondir leurs propositions et d’essayer de les faire devenir majoritaires au sein du parti.

Mais là où cela ne va plus pour un débat démocratique, c’est que les motions présentées par ces courants au moment des Congrès nationaux se croient obligées de prendre position non seulement sur des orientations générales ou quelques questions clés, mais sur tout ce que devrait gérer un gouvernement.

En conséquence, on trouve pêle-mêle dans ces motions des propositions sur les institutions, la justice, l’armée, le nucléaire, la fiscalité, l’énergie, les transports, l’agriculture, les femmes, les retraités, etc. Un adhérent peut très bien, tout en soutenant la majorité des propositions de cette motion, avoir des idées différentes sur tel ou tel point. Ou même approuver des propositions qui se trouvent dans la motion d’un autre courant.

Il en est de même lorsqu’au moment des élections législatives, l’électeur doit choisir entre les programmes des différents partis politiques. Je parle ici de ceux qui réfléchissent à un programme et ne se contentent pas de s’aligner derrière un guide charismatique. On peut très bien adhérer globalement aux orientations d’un parti politique, mais être d’accord avec certaines propositions d’autres partis.

À cela, nos intellectuels qui sévissent nombreux en politique, théoriciens rationalisants à la française, répondent que l’on risque d’aboutir à des programmes politiques qui ne seraient pas homogènes. Est-ce grave ? La vie n’est pas une construction logique bien ordonnée et, en nous, nous portons tous des contradictions que nous assumons.

Pour ces raisons, il me semble qu’il serait préférable que les adhérents d’un parti, au lieu d’exprimer un vote unique englobant tous les points d’un programme, puissent voter une à une chaque proposition du programme de leur parti. L’élection des responsables du parti serait faite individuellement, par un vote spécifique, ce qui est possible si on considère qu’ils ont la charge d’exécuter les décisions de l’assemblée délibérative et du comité directeur et non d’imposer leur point de vue personnel ou celui de leur courant politique.

Au niveau de la nation, ce devrait être le rôle du Parlement de faire ce travail de vote point par point en abandonnant toute discipline de vote. À condition cependant que les Chambres soient élues à la proportionnelle, qu’un gouvernement ne démissionne pas dès qu’il est mis en minorité sur une question, mais qu’il accepte la décision de la majorité et que la question de confiance ne puisse être posée que dans le cadre d’un gouvernement de législature.

Voir : Droite, gauche, écologistes. Gouvernement de législature. Majorité culturelle. Minorités. Mouvement ou parti politique.

Réformes

Quels changements : progrès ou régressions ?

La mode est aux « réformes ». Que de contresens et de déviations dans l’emploi de ce mot ! Il a une connotation plutôt positive, mais malheureusement on l’emploie pour parler de n’importe quel changement. Or un changement peut aboutir non pas à un progrès, mais à une régression démocratique ou sociale, à une contre-réforme.

Qu’il faille dans notre pays améliorer l’état existant dans de multiples domaines de la vie collective, c’est certain. Les institutions politiques à la française, la justice, le système de santé, l’enseignement, la recherche, les services publics, mais aussi les règles qui humanisent l’entreprise privée, toutes ont besoin de réformes. Mais trop d’hommes politiques et de commentateurs se contentent de dire, il faut des réformes, sans préciser de quelle sorte de réforme il s’agit. Lorsque leurs opposants s’opposent à leurs réformes, au lieu d’argumenter sur le fond, ils prétendent que ces opposants s’opposent à toute réforme.

La grande question n’est pas seulement de réformer, de modifier le statut actuel, mais de savoir dans quel sens, vers quels objectifs : en faveur du plus grand nombre ou d’une minorité ? En faveur des plus pauvres ou des plus riches ? En faveur des ouvriers, employés, cadres de l’entreprise ou de ses propriétaires capitalistes ? Vers plus de centralisme ou plus de fédéralisme ? En se rapprochant des expériences des pays où les résultats sociaux et environnementaux sont les meilleurs ou en revenant à 50 ou 100 ans en arrière ?

Les objectifs des réformes à mener, les nouveaux moyens à mettre en œuvre pour y parvenir ne peuvent être socialement et économiquement efficaces que s’ils sont élaborés avec une participation démocratique. La société moderne est trop complexe pour qu’un despote, qui se croit éclairé, et des experts mêmes réputés puissent décider à eux seuls. Si on veut aboutir à des solutions applicables et acceptées par le plus grand nombre, il faut un débat et une confrontation collectifs. À l’époque moderne, la démocratie participative trouve là toute sa place.

En matière de réformes, la méthode et le temps sont fondamentaux. Le gouvernement Sarkozy, par exemple  non seulement pratiquait des contre-réformes qui aboutissaient à des retours en arrière, mais il travaillait sans méthode sérieuse : la carte judiciaire a été révisée sans consultation réelle de la profession, sans étude de ses effets sur l’aménagement ou le déménagement du territoire ; le Revenu de solidarité active a été généralisé après quelques mois d’essais dans quelques départements, alors qu’on avait annoncé plusieurs années d’expérimentation ; le Grenelle de l’environnement a été suivi de décisions contraires aux conclusions auxquelles des centaines de participants avaient abouti, même celles que le Gouvernement et surtout le monarque avaient paru entériner.

Aucune réforme ne peut aboutir si les prélèvements fiscaux ne sont pas répartis proportionnellement aux revenus de chacun, aux revenus du travail et surtout aux plus-values du capital. L’imposition des plus riches ne réduit par leur niveau de vie, elle ne rapporte pas de grandes sommes par rapport à ce que l’on peut prélever sur l’ensemble de la population, en général et principalement sur les classes moyennes, mais elle est indispensable pour faire admettre les efforts demandés.

On rêve d’un Premier ministre qui annoncerait qu’aucune loi ne serait votée pendant un an ; pendant ce délai les réformes à accomplir seraient mises en débat avec les intéressés et devant l’ensemble du pays.

Voir : Démocratie participative. Majorité culturelle. Mots fourre-tout. Progrès.

Régulations publiques et modèle français

De la nécessité d’établir des règles communes

Si on veut sortir de la loi de la jungle dans laquelle le fort opprime, asservit ou élimine le faible, il faut imposer une régulation publique. En démocratie, c’est le pouvoir politique élu qui définit les règles applicables à tous.

Prenons un exemple simple, celui de la circulation automobile. Il fut un temps où le riche qui possédait une voiture puissante et rapide roulait à tombeau ouvert et klaxonnait pour que les autres automobilistes moins bien lotis le laissent passer. En près d’un siècle, on est arrivé progressivement à imposer un Code de la route : on circule à droite, on a imposé des limites de vitesse draconiennes, on rencontre sur la route toute une série d’obligations et d’interdictions imposées par des panneaux de signalisation.

Les forts ont d’abord dit qu’on entravait leur liberté et qu’on freinait leur activité économique bien sûr indispensable à la nation. Mais le résultat est là. Il est maintenant reconnu que grâce à cette régulation et aux modérations imposées, grâce aux mesures coercitives appliquées, un maximum de gens peuvent démocratiquement, c’est-à-dire tous égaux, utiliser les voies de circulation. Le fonctionnement économique et le niveau social s’en trouvent améliorés. L’état de l’environnement commence même à être pris en compte dans cette régulation.

Il en est de même dans tous les domaines pour la production de biens et de services, les échanges commerciaux, le commerce extérieur. Il est nécessaire que le pouvoir politique établisse des règles, à l’intérieur du pays et dans les échanges extérieurs, qui empêchent les forts d’écraser les faibles et qui permettent de trouver un juste équilibre entre la rentabilité financière, les impératifs de la production, la rémunération des travailleurs, la protection sociale et la protection de l’environnement.

Bien sûr le patronat gémit qu’on l’étrangle, les financiers qu’on ne comprend rien à la globalisation et qu’on limite leurs profits, les riches qu’ils vont s’expatrier. Mais, in fine, tout le monde bénéficie d’un bon système de société d’économie mixte. Tant qu’elle a été un modèle de société d’économie mixte, avec une forte régulation publique, la France a été recherchée par les entreprises étrangères.

Les délocalisations d’entreprises françaises vers des pays à bas salaires sont très critiquées, et à juste titre, parce que c’est une prime au profit maximum et la source de drames humains qui pouvaient être évités. Mais, avant l’arrivée au pouvoir de la droite néo-libérale sarkozyste, hollandiste ou macronienne, grâce aux fortes régulations publiques, il y avait plus que maintenant des emplois créés en France par des implantations d’entreprises étrangères.

Depuis la crise économique des années 2008-2009, bien des économistes libéraux, qui se gaussaient du modèle français de régulation publique, le regardent maintenant de plus près et s’aperçoivent qu’il limite les destructions sociales et stabilise l’économie. Mais ce modèle arrivera-t-il encore à mettre l’économie au service d’un projet politique humaniste ?

Voir : Une économie mi-publique mi-privée. Échanges extérieur. Prix minimum. Profit maximum ou juste bénéfice ? Seuils limites.

Services publics

Une nécessité à la fois sociale et économique

La finalité du service public est d’offrir des services essentiels pour la vie du citoyen, à des tarifs accessibles à tous les usagers, de façon continue, quel que soit le lieu et quelle que soit la rentabilité. Le service public est donc fondamentalement différent de l’entreprise privée capitaliste dont la raison première est la recherche du bénéfice financier maximal au profit des dirigeants et des apporteurs de capitaux, ce qui l’amène à se limiter aux activités et aux clientèles les plus rentables.

Le développement important des services publics est une des forces de la France. Le modèle français d’économie mixte – le mot économie étant pris au sens large de production de biens et de services – permet d’assurer à l’ensemble des résidents, français ou étrangers, des services qui ne sont pas financièrement rentables comme la santé, la sécurité sociale, l’enseignement, la culture, les transports en commun, le logement social, les services sociaux, la justice, la police. Ils sont accessibles à l’ensemble de la population soit parce qu’ils sont gratuits et financés par des impôts directs ou indirects, soit parce qu’ils sont gérés sans rechercher la rentabilité financière maximale.

Le contre-exemple est fourni par les États-Unis où les services de santé ou d’enseignement, par exemple, sont à service et qualité comparables aux nôtres d’un coût exorbitant pour les usagers et donc réservés aux personnes qui ont des revenus élevés.

La qualité de ces divers services publics d’éducation, de santé, de transports, etc., leur diffusion sur l’ensemble du territoire profite aux entreprises privées. C’est une des raisons pour lesquelles tant d’entreprises étrangères apprécient d’être implantées en France.

Ces services publics tant décriés par la droite – par pure idéologie, convaincue que seul le privé est producteur de richesse, ce qui est absolument faux – sont beaucoup plus utiles socialement, mais aussi économiquement, que bien des activités privées. Il suffit de comparer sur ce plan l’instituteur, salarié public, qui forme gratuitement pour les familles et les entreprises employeurs le futur citoyen à la lecture, à l’écriture, au calcul, à la connaissance de son environnement, au raisonnement et au jugement, de le comparer donc à un créateur de jeux vidéo travaillant en société privée. Le premier est évidemment plus utile que le second, non seulement pour la société toute entière mais pour les entreprises privées elles-mêmes.

On peut ajouter que les services publics locaux, écoles, biblio- thèques, bureaux de poste, livraison du courrier, piscines, services de nettoiement, espaces verts et autres, sont soumis à la critique immédiate et publique des usagers. C’est pourquoi ils sont en général d’une très bonne qualité en matière d’exactitude, de propreté, de service rendu, qualité souvent bien supérieure en matière de services à la personne que ce que l’on obtient d’entreprises privées.

Fondamentalement, un service public coûte moins cher qu’un service privé, parce qu’il ne fait pas de bénéfices, que la rémunération des dirigeants est beaucoup moins forte, qu’il n’a pas de frais de démarchage commercial ni de publicité, qu’il n’a pas à rémunérer des capitaux. On le voit lorsque des municipalités confient le service de l’eau à de grandes entreprises privées : les prix payés par les usagers augmentent considérablement. On peut remarquer aussi que les frais de gestion de l’assurance offerte par la Sécurité sociale sont de moins de 4 %, alors que les frais généraux, les frais de fonctionnement, les frais de publicité énoncés par les grandes sociétés d’assurance privées sont de 45 % et plus. Cela veut dire qu’avec des assurances privées, seulement 55 % des cotisations reviennent aux assurés.

Certains arguent du fait qu’il existe des services publics mal gérés pour vouloir les privatiser. Or il existe une quantité d’entreprises privées mal gérées, qui se maintiennent parce qu’elles bénéficient de rentes de situation ou de rentes historiques, ce n’est pas pour cela qu’on veut les supprimer. Les uns et les autres doivent être bien gérés, il existe pour cela de nombreux moyens de contrôle ou d’organisation. Il faut déterminer quels secteurs d’activité et de service relèvent mieux du privé et lesquels relèvent mieux du public. Le service public correspond à des services socialement utiles que les usagers négligeraient si on les leur facturait au prix de revient. Ils correspondent aussi à des investissements à long et à moyen terme – infrastructures de transports, d’énergie, de communication, centres hospitaliers, établissements d’enseignement et de recherche – dont la rentabilité financière est trop faible ou à trop long terme pour intéresser les capitaux privés à la recherche de fortes rentabilités annuelles.

La défense et le développement des services publics ne sont pas seulement une nécessité sociale, ils sont aussi une nécessité économique.

Voir : Une économie mi-publique mi-privée. Fonctionnaires. Médecine et services publics. Privatisation des services publics. Profit maximum ou juste bénéfice ? Régulations publiques et modèle français.

Fonctionnaires

Un des piliers de la démocratie française

Il se trouve qu’au cours de ma carrière j’ai travaillé professionnellement en partie dans le privé et en partie dans la fonction publique territoriale : les fonctionnaires de terrain, ceux qui sont en contact direct avec le public, ont toute mon estime.

Il est facile de citer des cas de fonctionnaires sous-employés. C’est peut-être vrai pour certains fonctionnaires des administrations centrales au niveau national. Mais dans l’agglomération de Grenoble, j’ai plus souvent vu des commerçants du centre-ville ou des chauffeurs de taxi rester inactifs pendant des heures à attendre le client, que des employés municipaux inoccupés. D’autant que ceux- ci ne sont en général pas assez nombreux pour les tâches à accomplir et sont soumis à une surveillance critique permanente de la part des citoyens usagers.

En ce qui concerne les cadres de la fonction territoriale, ils constituent un des piliers de la démocratie. Le fonctionnaire n’est pas financièrement intéressé au résultat de son travail et il a un statut, une stabilité de l’emploi, qui lui permet d’avoir une certaine autonomie vis-à-vis de sa hiérarchie. L’intérêt de son travail est de répondre aux besoins des citoyens.

On ne peut imposer véritablement un travail inutile ou stupide à un fonctionnaire, comme cela se produit trop souvent dans le privé. Au lieu d’être harcelé par la recherche de la rentabilité maximale et du profit maximum, au lieu d’être obligé de produire des biens et des services dont l’utilité sociale est souvent très contestable et les dégâts environnementaux certains, sa préoccupation permanente, de par l’objet même de son travail, est le service rendu aux habitants.

Les fonctionnaires de terrain, confrontés en permanence aux usagers et aux réalités concrètes, forts de leur expérience professionnelle acquise au cours des années, représentent souvent mieux l’intérêt général à long terme que des élus bien souvent inexpérimentés ou influencés par des logiques électorales et des logiques de groupes politiques. Ils expriment aussi souvent mieux l’intérêt général que les usagers qui sont d’abord et presque uniquement, sauf quelques militants dévoués, préoccupés par leurs problèmes personnels.

Dans le processus de décision démocratique, la décision finale reste bien sûr aux élus politiques, en tant que représentants des citoyens, mais la préparation de cette décision doit se faire par une participation quadripartite réunissant les élus, les fonctionnaires, des experts ou des associations spécialisées ayant rôle d’experts, les usagers concernés ou les associations les représentant.

C’est ce que nous avions expérimenté à Grenoble dans les années 1970 pendant les Municipalités d’Hubert Dubedout. Les fonctionnaires chefs de service participaient pleinement aux Commissions municipales et extra municipales.

Voir : Démocratie participative. Profit maximum ou juste bénéfice ? Services publics.

Privatisation des services publics

Paresse des élus, manque d’information des usagers

Alors que les services publics sont une des grandes forces du modèle français d’économie mixte, il existe une tendance générale à leur privatisation principalement à droite, mais souvent aussi à gauche.

J’ai vécu cela lorsque la Mairie de Grenoble en 1983 et le Conseil général de l’Isère ensuite en 1985 sont passés de gauche à droite. Je me suis retrouvé à travailler avec des gens de droite, à participer avec eux à des repas de travail où les convives en fin de repas laissent apparaître leurs convictions. Pour ces gens de droite, sans réfléchir, sans ouvrir les dossiers, la gauche et les services publics sont le mal absolu. C’est une croyance idéologique, une conviction intime.

Mais il y a d’autres raisons à la privatisation des services publics locaux et bien des mairies dites de gauche la pratiquent elles aussi. Les usagers préfèrent payer plus cher à des sociétés privées les services qu’ils utilisent que de payer un service municipal ou de payer des impôts. On le constate pour les entrées à une piscine, le coût du m3 d’eau, les services des pompes funèbres. Dans les années 1970 à Grenoble, un atelier municipal fabriquait des cercueils et les vendait au prix coûtant. Les sociétés de pompes funèbres privées se fournissaient auprès de cet atelier municipal et revendaient les cercueils aux familles éplorées le double du prix d’achat, en proposant de surcroît des prestations coûteuses parfaitement inutiles.

Les  usagers  contestent à priori les prix des services publics ; par   contre lorsqu’ils ont affaire à plusieurs sociétés privées qui s’entendent sur les prix, parce que les prix sont voisins ils croient que  c’est le juste prix. Or, ces sociétés privées pratiquent forcément des coûts supérieurs à ceux d’un service public : elles ont des frais commerciaux, des frais de publicité, elles versent des rémunérations nettement plus élevées à leurs cadres que dans le public, elles ont à rémunérer leurs capitaux et elles doivent, les clients trouvent cela normal, faire des bénéfices aussi élevés que possible dans la recherche du profit maximum. À Grenoble et dans les communes limitrophes, on a vu le prix du m3 d’eau augmenter fortement à la suite de la privatisation des services des eaux et de l’assainissement.

Une autre raison incite à privatiser des services publics. S’il y a des difficultés de fonctionnement, ou simplement pour se décharger des soucis de gestion ou du contrôle de la gestion, il est plus simple pour les élus municipaux de s’en remettre à des sociétés privées.

Ajoutons à cela que les usagers admettent très bien de voir des chauffeurs de taxis attendre sans travailler pendant des heures, des commerçants rester inoccupés dans leur magasin la plus grande partie de la semaine, sauf le mercredi et le samedi, ou de faire la queue aux caisses des grandes surfaces. Mais les mêmes usagers ne supportent ni de faire la queue devant un guichet de service public, ni de voir un employé de mairie les attendre, pour pouvoir les servir immédiatement, lorsqu’ils arrivent devant le guichet.

Les agents des services publics ont trop souvent un complexe vis-à-vis des salariés du privé ; c’est bien dommage. Ayant passé une partie de ma carrière professionnelle dans le privé et l’autre partie dans le public et le parapublic, je peux témoigner de ce que les agents des services publics, tout au moins ceux qui sont directement en contact avec la population, lorsqu’ils sont motivés, bien encadrés et en effectifs suffisants, sont très préoccupés de l’intérêt général et très désireux d’assurer un bon service aux usagers.

Il serait nécessaire que des informations claires et répétées soient faites auprès des usagers sur ce que leur apportent les services publics et que soient publiées des comparaisons de prix et de services avec les sociétés privées.

Voir : Une économie mi-publique mi-privée. Fonctionnaires. Pragmatisme et idéologies. Profit maximum ou juste bénéfice ? Services publics.