Propositions pour une VI° République démocratique, sociale et écologique


François LALANDE

Vers la démocratie

Sciences humaines et démocratie

Développer l’esprit critique des citoyens

L’enseignement des sciences humaines, et notamment de la philosophie, est essentiel si l’on essaye d’instituer et de faire fonctionner une communauté de haute qualité démocratique.

L’étude de la philosophie, de la littérature, de l’histoire, de la géographie humaine, de la sociologie, de l’économie est un excellent moyen pour développer l’esprit critique des citoyens. Elle leur apporte des bases de connaissances et de réflexion intellectuelle qui leur permettent de juger par eux-mêmes des faits et des événements, des politiques menées par les gouvernants, de ne pas prendre pour argent comptant ce que disent les experts, les professeurs, les journalistes qui veulent penser pour eux.

Kant demandait que l’on ait le courage de se servir de son propre entendement. Pour lui deux causes amenaient des individus à se soumettre à l’emprise des autres : la paresse et la lâcheté ou la peur de penser différemment du groupe.

On a souvent fait remarquer que des philosophes comme Platon ou Tocqueville émettaient des critiques sur la démocratie. Pour Platon, le bon régime serait celui où l’aristocratie des meilleurs, philosophes ou praticiens, gouvernerait. À son époque, il craignait le pouvoir de ceux qui avaient le don de la parole, qui acquéraient ce pouvoir dans les écoles des sophistes, écoles où des professeurs enseignaient à la jeunesse comment prendre le pouvoir dans les assemblées et les institutions au moyen d’un discours construit à cet effet. C’est ce dont nous pâtissons encore 2 500 ans plus tard avec des « grandes écoles » comme l’École nationale d’administration, l’ENA, ou le pouvoir pris dans nos assemblées parlementaires par les avocats et les enseignants. Emmanuel Macron est un exemple caricatural du pouvoir de la parole, comme de Gaulle, Mitterrand et quelques autres avant lui.

Quant à Tocqueville, après avoir longuement et consciencieusement étudié le fonctionnement de la démocratie en Amérique, aux États-Unis, il craignait que la démocratie n’aboutisse à une dictature de la majorité, ce que nous constatons, par exemple, depuis 2017 avec la majorité écrasante de La République en Marche qui impose les décisions du seul Président et le programme qu’il avait annoncé avant tout débat parlementaire, les débats au Parlement ne servant qu’à apporter quelques modifications à la marge aux projets du Président et de son équipe .

Au premier philosophe, Platon, on peut répondre que l’histoire a montré que la démocratie, à condition de respecter les principes fondamentaux cités au début de cet essai, donne de meilleurs résultats pour le plus grand nombre et les plus défavorisés que le gouvernement d’une oligarchie. Celle-ci se coopte, ses membres s’autoproclament les meilleurs et s’empressent de gérer les affaires publiques à leur avantage.

Au second philosophe, Tocqueville, on peut répondre que l’expérience montre, suivant la célèbre formule attribuée à Winston Churchill, que la démocratie est un système bien imparfait, mais que tous les autres systèmes sont pires.

Encore une fois, cela signifie qu’il n’y a aucun système de gouvernement qui soit indiscutablement bon, mais que certains sont meilleurs que d’autres. Et à l’intérieur de ceux que l’on peut ranger dans les systèmes plus ou moins démocratiques, on rencontre des niveaux de qualité bien différents. La haute qualité démocratique est un idéal auquel il faut tendre. Depuis l’institution de la Constitution de la Ve République, la France, malheureusement, ne fait que s’en éloigner pour revenir au Second empire de Napoléon III.

Voir : Constitution de la Ve République. Grandes écoles et syndrome de l’ingénieur. Principes de la démocratie.

Société civile

Vie politique et société civile sont indissociables

Le rôle des élus politiques est de prendre les décisions qui organisent la vie collective et encadrent la vie individuelle. Mais trop de conseillers municipaux, départementaux, régionaux ou de députés, et encore plus lorsqu’ils ont des responsabilités exécutives, ont tendance à se considérer comme au-dessus des citoyens. La culture monarchique de droit divin à la française y contribue fortement.

Ces « élus » au sens démocratique et non biblique du terme, doivent demeurer sous la surveillance permanente des citoyens, de préférence dans une démarche de démocratie participative, mais en tout cas de contrôle de leur gestion des services publics.

Les acteurs de la société civile doivent être informés et consultés bien en amont des décisions publiques, pas seulement sur les impacts sociaux ou environnementaux de ces décisions, mais aussi sur leur opportunité, en les replaçant dans le cadre d’une politique globale.

Certains pays à haute tradition démocratique demandent à leurs citoyens de n’intervenir auprès des élus et des instances politiques qu’au travers d’associations. Ils considèrent que le passage par une association permet au citoyen de s’informer, de se former, de se concerter avec d’autres personnes ayant les mêmes sujets de préoccupation et d’élaborer des propositions non pas individuelles, mais collectives.

D’autant que le pouvoir politique, l’État et les collectivités territoriales, ne gère pas tout. Il établit des lois et des règlements généraux, il attribue des budgets mais, dans les cadres et limites ainsi posés, les citoyens doivent s’organiser pour gérer eux-mêmes leurs affaires. C’est le rôle des syndicats pour la vie des entreprises, des services privés et des services publics ; c’est celui des associations dans celui de la culture, du sport, de l’action sociale, de la santé ; c’est aussi celui des partis politiques et des associations à but politique, comme par exemple ATTAC ou Greenpeace, qui prennent position sur les questions publiques, mais ne participent pas aux compétitions électorales.

Les principes et les règles de la démocratie ne concernent pas seulement les instances politiques, ils s’appliquent aussi aux entreprises privées, aux associations et bien sûr aux services publics et parapublics.

Voir : Coopératives de production. Culture monarchique. Démocratie participative. Syndicats de salariés.

Majorité culturelle

L’évolution des mentalités est la clé de tout changement durable

En démocratie, l’important, lorsqu’on croit une cause juste, est de faire évoluer les mentalités. On ne peut réaliser des réformes durables que si elles sont comprises et acceptées par la majorité de la population et pas seulement par la majorité des élus politiques.

Rien ne sert d’arriver au pouvoir ou de passer des accords de gouvernement si on ne dispose pas d’une majorité au Parlement pour faire adopter ses propositions de lois. Et rien ne sert de voter des lois s’il n’y a pas parmi les détenteurs de l’autorité publique, parmi les magistrats et dans la population, une majorité culturellement d’accord pour les appliquer et établir les règlements qui en découlent.

Des idées nouvelles, comme les propositions des écologistes apparues il y a cinquante ans sur le terrain politique, peuvent progressivement être reconnues lorsqu’elles ont convaincu 20 à 30 % de la population et une majorité de leaders d’opinion. En raison de leur nouveauté, elles ne sont applicables que lorsqu’elles sont admises par une nette majorité de la population.

Qu’une responsable nationale des Verts comme Dominique Voynet ait accepté en 1997 de devenir Ministre de l’environnement dans un Gouvernement socialiste a été une profonde erreur. Elle disait elle-même qu’elle n’était que la 27ème roue du Gouvernement. Il n’y avait ni une majorité politique, ni une majorité culturelle pour appliquer les propositions qu’elle était censée défendre. Cela a contribué à faire croire que le parti socialiste accédait à l’écologie, ce qui n’était pas le cas. C’était un « petit pas » en avant au résultat conservateur. Cécile Duflot a répété la même erreur en n’étant même pas ministre de l’environnement.

Marie-Christine Blandin, au contraire, en 1992, est devenue une Présidente écologiste de la Région Nord, sans avoir à compromettre ses propositions et en disposant des moyens de les faire réellement avancer. Elle a pu alors faire progresser la majorité culturelle vers une plus grande compréhension de l’écologie.

Ce n’est que par une majorité culturelle, la prise de conscience d’une majorité de citoyens, que l’on pourra lutter contre cette forme de pouvoir absolu d’un seul homme mise en place par Nicolas Sarkozy ou Emmanuel Macron.

Voir : Minorités. Petits pas. Courants et programmes des partis politiques.

Démocratie représentative

La seule forme sérieuse d’organisation du pouvoir politique

La démocratie représentative, c’est à dire l’élection de délégués pour une certaine durée par l’assemblée des citoyens, délégués ou représentants chargés de délibérer et de voter les décisions d’orientation, les lois applicables à tous et d’élire à leur tour les responsables de l’exécution des décisions et de la gestion de la communauté, cette démocratie représentative est remise en question.

En raison de mauvaises règles institutionnelles pour l’élection des représentants et pour le mode de prises des décisions, on a abouti à des guerres de clans à l’intérieur des partis et à la confiscation du pouvoir par des potentats qui ont trop de pouvoirs sans contrôles réels. Ils partent du principe que le plus important pour leur clan est d’accéder au pouvoir et de le conserver coûte que coûte pour appliquer leur politique. Aussi dès qu’ils sont au pouvoir ils pratiquent dans les meilleurs des cas des politiques de petits pas qui ne changent rien dans la réalité et ils oublient leur engagements s’ils soulèvent des mécontentements.

Les partis de droite ont toujours eu un assez faible niveau de démocratie interne. Que l’on prenne les partis tels que le RPR, l’UMP, les Républicains, le Front national ou plus récemment la République en marche, les adhérents soutiennent un discours d’orientation générale de leur leader et adoptent sans le discuter le programme qu’il leur présente. Au plus donnent-ils quelques avis sur des points secondaires, mais c’est le leader et son équipe qui décident de tout. En 2016-2017 Emmanuel Macron a réalisé l’exploit en près d’un an de recruter 300.000 adhérents sur de simples discours vagues et généreux. Il n’a publié un programme qu’au début du mois de mars 2017, soit moins de deux mois avant l’élection.

Au centre gauche le parti socialiste a essayé pendant des décennies d’organiser une démocratie interne, mais sur la base de motions globales présentées par chaque tendance. Cela a abouti, comme nous l’avons vu à l’article « Courants et programmes des partis politiques » à des conflits et à des blocages de bloc à bloc et à un éloignement des demandes de leurs électeurs.

A gauche les communistes appliquaient les directives du Comité central. A l’extrême gauche on a toujours privilégié les assemblées  qui se méfient des structures permanentes et on rêve de prendre des décisions au consensus, dans lequel on ne décide pas à l’unanimité, mais où les minorités sont censées se rallier à la majorité qui émerge. Nuits debout en est un bon exemple. Finalement le pouvoir est occupé par un ou quelques leaders à fort pouvoir oratoire et par les plus assidus aux réunions, assiduité louable mais pas du tout une indication de représentativité ou de compétence.

Quant à La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, elle n’a aucun organe décentralisé élu, les responsables sont désignés par le chef et son équipe ou sont autoproclamés. Les adhérents se regroupent en « groupes d’appui » à Mélenchon par communes ou groupes de communes, et le national demande même qu’ils ne soient pas plus de douze militants.  Dans les réunions intergroupes de soutien d’un même secteur les participants refusent l’élection d’un bureau local comprenant un ou des porte-parole, un président qui représenterait le groupe, un secrétaire, un trésorier, sous le prétexte qu’ils vont s’installer, prendre le pouvoir et devenir des potentats. Qui décide, qui est responsable, qui prend la parole vis-à-vis de l’extérieur ? On ne sait pas.

On aboutit ainsi à des associations fermées au sein desquelles le leader et l’oligarchie qui l’entoure prennent toutes les décisions. Les adhérents soutiennent, sont priés d’apporter leurs contributions matérielles, de donner de leur temps et de diffuser les positions et les décisions de l’équipe de tête restreinte. De temps en temps on organise une convention et on demande aux militants présents de voter sur une proposition très large assurée d’avoir l’approbation de ceux qui sont réunis.

A l’expérience, rien ne remplace la démocratie représentative pour gérer une communauté, mais à condition d’appliquer des institutions qui favorisent l’exercice de la démocratie : non cumul des mandats, limitation de la durée dans le temps à deux mandats, si besoin choix de membres de l’exécutif en dehors des élus ou parmi d’anciens élus pour bénéficier d’expériences et de compétences acquises, vote point par point des programmes, pas de discipline de groupe imposée, liberté de vote sur chaque délibération, limitation des temps de parole, pouvoir à une majorité des 2/3 de révoquer les responsables à tout moment, etc.

Voir : Courants et programmes des partis politiques. Démocratie participativeMinorités. Mouvement ou parti politique. Pragmatisme et idéologies. Principes de la démocratie.

Démocratie participative

Une procédure exigeante mais efficace

Un vote tous les six ans pour les élections municipales, tous les cinq ans pour les élections législatives, présidentielles et européennes, tous les six ans pour les élections régionales est nécessaire, mais ce n’est pas une condition suffisante pour atteindre un niveau correct de démocratie. D’autant que la France n’a pas la culture du compromis politique, mais celle de la domination de la majorité politique.

Lorsqu’on vote pour un candidat ou pour une liste, on vote en même temps pour le programme annoncé, mais on n’est pas forcément d’accord à 100 % sur tous les points de ce programme. D’autre part, en 5 ou 6 ans, et même en 4 ans pour les pays qui ont adopté ce rythme électoral, la situation économique et sociale peut évoluer. Les représentants élus se trouvent alors face à des choix qui n’avaient pas pu être prévus, il leur revient donc entre deux élections de prendre des décisions nouvelles. Ils ont de toute façon à gérer dans des situations concrètes l’application des programmes annoncés. Cela doit se faire en liaison directe avec les citoyens.

C’est là qu’intervient la démocratie participative, que nous avions largement expérimentée à Grenoble dans les années 1970 avec le maire Hubert Dubedout. C’est particulièrement important en ce qui concerne les politiques municipales, parce qu’on est là au plus près de la vie quotidienne des citoyens, mais c’est applicable, sous différentes formes, à tous les niveaux de la vie politique.

Prenons donc l’exemple de la vie municipale. La démocratie participative consiste à associer le mieux possible les habitants aux décisions du Conseil municipal. En matière de participation, il existe plusieurs étapes :

- information : c’est ce qui se fait dans toutes les municipalités à travers les bulletins municipaux, les divers documents édités, les réunions de présentation des projets. Il s’agit d’une parole descendante.

- consultation : le conseil municipal et les techniciens qu’il s’adjoint recueillent les avis des riverains, des citoyens, des associations. La parole remonte et le conseil décide ensuite d’en tenir compte ou non.

- concertation et débats : à ce stade, tous les acteurs que nous avons passés en revue à propos de la « consultation », sont non seulement informés, consultés, mais associés de façon quasi-permanente à l’élaboration, à l’évaluation des projets, dans toutes leurs composantes, urbaines, architecturales, sociales, culturelles, financières. L’objectif et la méthode consistent à travailler et à mûrir collectivement la décision finale dans une volonté et une confiance communes.

Il y faut du temps, de la persévérance et de la continuité parce que les volontaires qui y participent font cela en plus de leur travail et de leurs occupations habituelles, mais doivent suivre la concertation de bout en bout.

- codécision : la décision finale est prise par les représentants élus, cela reste leur rôle et leur responsabilité, mais elle est prise et justifiée, et c’est là le point essentiel, en présence des délégués de toutes les composantes sociales et économiques qui ont été associées à la préparation de la décision.

Dans certains pays de démocratie avancée, un citoyen ne peut participer aux travaux de consultation et d’élaboration que s’il fait partie d’une association (voir l’article Société civile). On considère que cela lui permet de disposer d’une formation, d’une information et d’une réflexion préalables. On peut aussi, à côté des associations existantes et directement concernées, ouvrir les séances de travail à des citoyens volontaires à condition qu’ils s’engagent à participer de bout en bout au processus de concertation.

Tout ceci suppose que l’institution publique, qui met en œuvre la démocratie participative, apporte aux associations, aux commissions extra-municipales créées et aux participants des moyens de travail sérieux : salles  de  réunion,  secrétariat,  photocopies,  moyens  de diffusion auprès de l’ensemble des citoyens et, si nécessaire, un médiateur chargé de conduire les réunions et de rédiger les comptes- rendus soumis aux corrections et à l’approbation des participants.

La clé de la démocratie participative reste le fait de prendre les décisions en présence de tous ceux qui ont participé à leur élaboration. Quant au référendum, c’est une procédure difficile à mettre en œuvre et qu’on ne peut que rarement utiliser.

Voir : Conditions nécessaires et suffisantes. Décideur. Démocratie représentativePrincipes de la démocratie. Courants et programmes des partis politiques. Société civile. Urbanisme participatif.

Groupes d’action locaux

Du local au global

Le Groupe d’Action Municipale de Grenoble, le GAM, créé en 1963, a été une formation politique très novatrice en matière de démocratie locale.

Hubert Dubedout Maire de Grenoble, élu en 1965, était le Président du GAM. Il était très absorbé par son rôle de Maire et par la préparation des J.O. de 1968, mais il était présent à toutes les réunions du GAM au sein desquelles, au cours de son premier mandat, se préparaient les décisions importantes prises par la Municipalité.

En tant que Secrétaire général du GAM de Grenoble, j’ai eu la charge de 1965 à 1969 de veiller à son bon fonctionnement et au bon déroulement de ses réunions. J’ai aussi été le principal rédacteur de la Charte du GAM élaborée par le Bureau et votée lors de l’une des assemblées générales mensuelles. Ce document reste intéressant.

Le GAM de Grenoble (je précise de Grenoble parce que d’autres GAM ont existé dans d’autres villes, mais sous des formes parfois assez différentes), donc le GAM de Grenoble représentait une approche de la politique extrêmement différente de celle des partis politiques traditionnels. Il était formé de syndicalistes, de travailleurs sociaux, de militants associatifs, de membres d’unions de quartiers, d’ingénieurs et de scientifiques récemment arrivés à Grenoble.

Le GAM avait une démarche très voisine de celle des syndicats ouvriers. À partir de problèmes que rencontraient les citoyens dans la ville : mauvaise alimentation en eau, faiblesse des transports en commun, manque d’équipements sociaux et culturels, nettoiement des rues, entretien des bâtiments communaux, non transparence de la gestion municipale, des militants se retrouvaient pour proposer des solutions. A partir de ces questions qui touchaient leur vie quotidienne, ils allaient plus loin, ils se demandaient pourquoi ces dysfonctionnements existaient et, progressivement, ils remontaient des problèmes de quartier et de proximité immédiate à la gestion de la ville, aux moyens financiers dont elle disposait et, de là, aux questions de politique générale.

La démarche politique était inverse de celle des militants politiques traditionnels. Ceux-ci adhèrent à un parti, à gauche à une doctrine réfléchie mais en grande partie théorique, à droite suivant des convictions personnelles représentées par un leader, convictions qu’aucune expérience pratique n’arrive à remettre en question. Ces militants des partis traditionnels ont souvent beaucoup de mal sur le terrain, parce que la réalité humaine est multiple et que le modèle auquel ils se réfèrent, adopté a priori, se heurte à des contradictions.

Les militants du GAM de Grenoble étaient des gens de gauche, parce qu’ils se préoccupaient de répondre à l’attente de la majorité de la population et d’apporter une aide aux plus faibles. Cela demandait un accroissement des budgets et des prélèvements publics d’où, bien sûr, l’hostilité de la droite. Mais ils ont dû faire face aussi à l’hostilité de la gauche traditionnelle PS et PC qui voyaient en eux des concurrents « apolitiques » qui n’avaient pas compris l’importance du « parti-église » pour la conquête du pouvoir.

Heureusement, dans une ville qui oscillait à l’époque entre la droite et la gauche, les partis de gauche traditionnels ne pouvaient se passer du GAM pour conquérir la Mairie et Hubert Dubedout sut se placer au-dessus des contingences partisanes.

Aidé par cette nouvelle approche de la politique, il a pu pendant trois mandats, de 1965 à 1983 pratiquer une réelle démocratie participative.

Voir : Associations loi 1901. Démocratie participative. Droite, gauche, écologistes. Fonctionnaires.

Militantisme politique

Recherche de l’efficacité ou défoulement ?

Dans l’exercice de la vie politique, on rencontre à gauche trois grands types de militants politiques.

Il y a d’abord, et ce sont les plus nombreux, ceux qui veulent s’exprimer, qui veulent proclamer haut et fort leurs convictions. Ils participent à la diffusion de leurs idées, mais en fait le résultat de leur action compte peu pour eux. Ce qui leur importe, c’est de se retrouver entre amis, d’affirmer leurs positions communes. Pour cela, on se réunit, on rédige des tracts, bien souvent peu ou pas distribués, en général rédigés de façon trop dense et édités en nombre trop réduit pour influer réellement sur les opinions de la population.

Deuxième forme de militantisme, on organise une « manif » de convaincus et on va devant la Préfecture ou tout autre lieu symbolique brandir quelques banderoles et crier quelques slogans. Le préfet, aux ordres du pouvoir, ne s’intéresse pas à ce qui est réclamé. De toute façon, il ne peut rien décider. Au mieux, il reçoit une délégation pour la forme. Son seul souci est qu’il n’y ait pas de troubles ou de violences dans les rues.

On s’est agité, on a discuté, on s’est fait plaisir, on s’est donné bonne conscience. Rien n’est changé.

Troisième forme de militantisme, en général à gauche, ceux qui cherchent à obtenir des résultats concrets contre le laisser-faire, la domination des plus forts, la marginalisation des plus faibles. Leur action militante est difficile et courageuse, très ingrate, entre alliances et compromis, entre petits pas utiles et petits pas favorisant le statu quo, entre leur vie de famille et leur militantisme. À la différence des élus, ils n’en retirent aucun bénéfice, ni honorifique, ni matériel, et pourtant ce sont eux qui donnent de l’argent et beaucoup de temps pour que leur candidat gagne les élections. J’ai beaucoup de respect pour ces militants.

À droite, les choses sont plus simples. On se range derrière un leader local ou national. On l’écoute, on le suit, on le soutient. C’est lui qui pense, qui décide. On a le culte du chef. La motivation première est la défense des avantages acquis derrière des proclamations moralisantes. On raille ces gens de gauche qui débattent, quel désordre ! Et qui cherchent des solutions majoritaires, forcément plus complexes que les proclamations unanimistes du leader de droite.

Voir : Droite, gauche, écologistes. Petits pas. Courants et programmes des partis politiques.

Bipartisme

Le vote utile amoindrit le débat démocratique

En France, le système électoral crée un quasi bipartisme. Il existe six grandes familles politiques, mais l’élection des députés au scrutin majoritaire à deux tours fait que au second tour les électeurs ont tendance à voter utile, c’est-à-dire pour le candidat qui a le plus de chances d’être élu à gauche ou à droite. Cela favorise l’existence à droite et à gauche de deux grands partis dominants, trop portés à être dominateurs, et ne permet pas la représentation de la diversité politique existant dans le pays.

Cette mécanique devient absolue au moment de l’élection présidentielle, puisqu’au second tour seuls les deux candidats arrivés en tête peuvent se présenter. En 2002, on est ainsi arrivé au paradoxe d’avoir à choisir entre Chirac, la droite, et Le Pen, l’extrême droite. En 2007 et 2012, notre système électoral a empêché l’installation dans la vie politique française du MODEM, parti centriste. En 2017, Emmanuel Macron n’avait totalisé que 24% des voix au premier tour, mais le vote utile a joué dès le premier tour et en fait une bonne partie de ces voies est venue d’électeurs qui s’étaient portés sur lui pour empêcher Marine Le Pen d’arriver en tête au premier tour. Il n’a donc été élu que par 10 à 15% d’électeurs qui soutenaient réellement son programme ou plutôt ses déclarations d’intentions.

Le bipartisme plaît aux commentateurs et à beaucoup d’électeurs : les choses sont simples, il y a un camp contre l’autre, une majorité et une opposition, chacun a ses bons et ses méchants, chacun a sa vedette. On retrouve le syndrome d’une pensée binaire généralisée. Or, la domination  de  deux  grands  partis  présente  de  très graves défauts. Il interdit notamment ou limite considérablement la représentation au Parlement des six familles politiques naturelles : extrême gauche, gauche, centre gauche, centre droit, droite, extrême droite.

Au cours des campagnes électorales, il oblige les deux partis dominants, qui sont les seuls à avoir des chances d’arriver au pouvoir, à tenir un discours de plus en plus centriste en se distinguant de moins en moins de leur concurrent. Les élections présidentielles se gagnant le plus souvent à 51 ou 52 %, il leur faut aller grappiller les quelques milliers de voix de ceux qui hésitent jusqu’au dernier moment. Si bien que le pays bascule à droite ou à gauche sur des annonces qui ne correspondent pas réellement à la politique qui sera suivie et au gré des 2 ou 3 % d’électeurs les moins politisés, ceux qui se décident en fonction de leur ressenti et votent en général non pas pour un programme mais pour l’attrait d’une personnalité ou sur des thèmes de circonstance.

On finit par affirmer que la France est à droite ou à gauche, les commentateurs en rajoutent, mais au final ce sont quelques indécis qui font la différence. La France demeure autant à droite qu’à gauche, mais un petit pourcentage d’hésitants font basculer le pouvoir central d’un côté ou de l’autre.

Le débat démocratique est déformé. Les gagnants prétendent qu’on a adopté en bloc un programme présidentiel, alors que chaque orientation dans des domaines aussi différents que l’éducation, la santé, le logement, les transports, la politique économique, sociale, extérieure, etc. mériterait un débat séparé et que, suivant les questions, une majorité démocratique pourrait choisir les propositions d’un parti ou de l’autre. Ce devrait être le rôle du Parlement.

Dans d’autres pays d’Europe, les institutions en place permettent de concilier représentation proportionnelle et stabilité gouvernementale. Une élection des députés à la proportionnelle des voix obtenues par les différents partis politiques, complétée par l’institution d’un gouvernement de législature, permettrait de revenir à un véritable débat politique.

Voir : Constitution d’une VIe République. Gouvernement de législature. Majorité culturelle. Mouvement ou parti politique. Courants et programmes des partis politiques. Pensée binaire.

Décideur

Un rôle essentiel en démocratie

Une organisation démocratique a besoin d’un décideur en dernier ressort, qu’on l’appelle président, directeur, secrétaire général, premier secrétaire ou maire. Mais celui-ci ne doit être ni un monarque, ni même un despote éclairé.

Lorsque j’étais Directeur de Cabinet d’Hubert Dubedout  à la Mairie de Grenoble, lorsque j’ai été Directeur ou Secrétaire général de différents organismes complexes, j’ai vu de près ou assuré le rôle du décideur final. À la Mairie de Grenoble, par exemple, du temps de Hubert Dubedout et de son équipe, dans les années 1970, nous fonctionnions beaucoup au moyen de commissions élargies, qui réunissaient les élus et les chefs de services concernés, plus, bien souvent, des représentants d’associations d’habitants.

Trois cas peuvent alors se présenter :

- une large majorité se dégage en faveur d’une décision et le décideur, en l’occurrence le Maire, suit la majorité.

- les voix et les avis sont partagés. Après avoir entendu les uns et les autres, le Maire arbitre. C’est à cet instant que la confiance et  l’estime du groupe à l’égard du décideur s’installent ou non. Le groupe sent très bien si celui-ci tranche dans l’intérêt de ses idées personnelles, dans celui de ses amis politiques ou dans l’intérêt général.

- une majorité s’est dégagée, mais le décideur final n’est pas d’accord avec la majorité et il prend une décision différente. Si le décideur est démocrate, cela doit être rare, mais cela peut arriver pour plusieurs raisons : par sa fonction, il est au cœur d’un réseau d’informations dont ne disposent pas tous les membres de la commission. D’autre part, des débats en commissions ou en Conseil municipal sont essentiellement analytiques, ils décomposent des éléments qui forment un tout. Au moment de synthétiser ces débats en une décision, seul le décideur final aidé par son niveau d’information, par ses qualités personnelles s’il a été bien choisi, peut, comme un chef d’orchestre, dire voilà la bonne décision.

L’exemple du chef d’orchestre est intéressant. Son rôle demande beaucoup de dispositions personnelles, de formation, d’expérience, de travail, de débats avec l’orchestre, pour à la fois animer, coordonner et décider, mais lorsqu’il faut conclure et choisir, c’est le chef d’orchestre, dans une écoute globale et synthétique, qui dit : cela est bon.

La démocratie a besoin de décideurs. Mais les institutions, les règles et les pratiques culturelles doivent borner le rôle du décideur ultime à ce qui est indispensable pour que les meilleures décisions soient prises non pas dans son intérêt personnel, ni dans celui de son groupe, mais dans un sens qui concilie au mieux l’intérêt des citoyens concernés et l’intérêt général, ce qui n’est pas toujours très facile. Il lui revient notamment de créer les conditions pour aboutir à des compromis.

Ajoutons que dans des affaires complexes la décision n’est pas prise à un instant T. Elle résulte des structures de travail et de participation mises en place, elle est le résultat de décisions successives, la décision lorsqu’elle concerne une question importante est en réalité un phénomène continu.

Voir : Coopératives de production. Contre-pouvoirs. Culture monarchique. Démocratie participative.

Despotisme éclairé

Le règne de l’irresponsabilité

Le despotisme éclairé, c’est-à-dire tous les pouvoirs de décision remis à un homme ou une femme intelligent, expérimenté et honnête, est le rêve de beaucoup d’êtres humains et notamment de ceux qui sont lassés par les défauts de la démocratie. Mais c’est le règne de la paresse et de l’irresponsabilité. Pour le gouvernement des affaires collectives, qu’il s’agisse de l’État, d’une collectivité locale, d’une entreprise ou d’une association, on s’en remet à une seule personne et à ses commensaux, on cherche à se débarrasser de tout souci en ces domaines et à se consacrer tranquillement à ses affaires personnelles.

On est cependant forcé de constater que dans l’histoire des peuples, pour quelques cas heureux de courte durée, en général après quelques années d’illusions le résultat final est bien pire pour le plus grand nombre qu’avec un système démocratique majoritaire.

Dans une société complexe, comme le sont les nations modernes, une seule personne ne peut tout concevoir, ni tout gérer. Elle s’entoure alors de conseillers proches, en qui elle a confiance, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient qualifiés. S’installent alors rapidement les phénomènes de cour : le despote octroie les fonctions, les moyens de travail, les avantages personnels ; il faut donc être bien vu, on le flatte, on lui cache une part de ce que l’on sait, on le renforce dans ses convictions.

On rencontre ce système au premier niveau de notre système politique dans nos mairies à la française. Ce sont déjà là de véritables monarchies électives dans lesquelles le Maire a d’immenses pouvoirs : il dispose d’une majorité absolue au sein du Conseil municipal et, sauf cas rarissimes, il est le maître des lieux. Il attribue les délégations, les bureaux, les personnels affectés, les voitures de fonctions s’il y en a. Le total des demandes budgétaires des différents secteurs, social, sports, culture, écoles, bâtiments, urbanisme, etc. dépassent chaque année les possibilités financières de la commune. Les Adjoints délégués aux différents secteurs sont donc en concurrence les uns avec les autres, ils n’osent se critiquer réellement les uns les autres et c’est le Maire qui arbitre et octroie les budgets en dernier lieu.

Dans les entreprises privées, gouvernées à la française, c’est encore pire. Sauf quelques exceptions qui ont adopté des formes de management évoluées, sauf bien sûr les sociétés coopératives, elles sont extrêmement centralisées et monarchiques. Il est évident qu’un despote éclairé peut être meilleur qu’un héritier ou un technocrate incompétent, mais cela ne vaut pas une organisation participative où la direction, l’encadrement, les représentants des salariés et les représentants du capital travaillent ensemble à la recherche d’équilibres, de compromis et de l’efficacité.

Dans toute institution publique ou privée, quelle que soit sa taille, tout ceci n’exclut pas la nécessité d’avoir à la tête un chef qui oriente, impulse, arbitre et décide, mais qui décide en dernier et non en premier ressort.

Voir : Coopératives de production. Culture monarchique. Décideur. Démocratie participative.

Petits pas

Alibi conservateur ou amorce d’un progrès social ?

Il faut beaucoup se méfier des politiques dites des « petits pas en avant ». En premier lieu, on se doit de déterminer s’il s’agit d’un « en avant » vers plus de progrès social, pour le plus grand nombre et pour les moins favorisés, ou s’il s’agit d’un « en avant » pour les plus favorisés, les dominants et les bénéficiaires du système financier.

Ensuite, bien souvent, même s’il va dans le sens d’un progrès social, le petit pas permet de se féliciter de la petite avancée qu’il représente et d’en rester là. Ce petit pas en avant est alors une façon de ne pas réellement modifier la situation existante, c’est une forme de conservatisme. Faire trois ou quatre pas en avant, là où il faudrait faire vingt pas, est éminemment conservateur.

Il ne s’agit ni de refuser les expériences, ni les petits pas, mais de s’assurer que les expériences tentées seraient généralisables et que les petits pas vont dans la bonne direction et ne servent pas d’alibi pour ne rien faire de sérieux.

Les grandes réformes sociales : l’enseignement obligatoire pour tous, l’interdiction du travail des enfants, le passage de 60 à 40 heures de travail, les congés payés, la sécurité sociale, le minimum vieillesse n’étaient ni des petits pas, ni des expériences limitées, elles ont introduit des changements radicaux appliqués à l’ensemble de la population. Il s’agissait là de véritables réformes démocratiques.

Voir : Expériences sociales et culturelles. Progrès. Radicalisme. Réformes.

Droite, gauche, écologistes

Trois conceptions différentes des objectifs à atteindre

La démocratie se fonde sur la liberté d’opinion et d’expression et sur la possibilité de se regrouper en associations, mouvements ou partis politiques. Quelles que soient leurs dénominations les partis politiques peuvent être regroupés en France en six grandes familles politiques : l’extrême droite, la droite, le centre droit, le centre gauche, la gauche, et l’extrême gauche. Or, les écologistes représentent une nouvelle approche de la politique.

Pour la droite, la priorité des priorités est la croissance économique et les profits financiers, le social est second. À ses yeux, il faut diminuer les impôts, réduire les services publics, laisser la plus grande liberté possible aux entrepreneurs privés pour plus de production de biens matériels et de services privés. Dans cet esprit un artisan, un commerçant est plus important pour la société qu’un instituteur, parce que le premier travaille à son compte alors que le second est fonctionnaire. Pour la droite, plus le privé sera prospère, mieux la société s’en portera et les plus pauvres, les déshérités en bénéficieront finalement. C’est ce qu’on appelle la théorie du ruissellement, or toutes les enquêtes économiques montrent que cette théorie est complètement fausse.

Pour la gauche traditionnelle - parti socialiste et parti communiste partisans déclarés pour les premiers et consentants pour les seconds de la social démocratie - il faut concilier croissance économique néo-libérale et protection sociale. Grâce à la croissance économique, on pourra prendre des mesures de redistribution au bénéfice des chômeurs, mères de familles, personnes âgées à faibles revenus, malades, handicapés, etc. Ce n’est qu’après des décennies de mépris pour les écologistes que cette gauche a consenti à ajouter en appendice à ses programmes les questions d’écologie. La croissance de la production matérielle et de la consommation de produits reste cependant pour elle le seul moyen et la seule forme de développement concevables.

Les écologistes ne sont ni à droite, ni à gauche, mais plus près de la gauche que de la droite. De la même façon, on peut être ni à Paris, ni à Berlin, ni entre les deux, mais plus près de l’un ou de l’autre. Quant au principal parti dit de gauche en France pendant des décennies, le parti socialiste, comme ses actes au pouvoir l’ont montré il a toujours été plus près de la droite que des écologistes.

Pour les écologistes en effet, la politique n’a pas un seul pilier, l’économie, ni seulement deux piliers, l’économique et le social, mais trois piliers. Il faut concilier à parité une activité économique orientée vers une large redistribution des ressources disponibles et des richesses produites en faveur des plus vulnérables, avec la protection de l’environnement, de la vie sur terre et les besoins des générations futures. Contrairement à ce que leurs détracteurs veulent faire croire en disant que les écologistes ne se préoccupent que de protéger la planète, l’économique, le social et l’environnement sont des objectifs absolument constitutifs de leur programme. De ce fait, ils considèrent que la répartition des richesses doit maintenant prendre le pas sur leur accroissement.

J’ajouterai un quatrième pilier à ce programme : les voies et moyens d’une bonne gouvernance, c’est-à-dire des institutions politiques, économiques et sociales démocratiques, indispensables pour atteindre le niveau d’une démocratie moderne apte à répondre aux besoins essentiels de l’ensemble de la population actuelle et des générations futures. C’est l’un des buts de ce livre.

Voir : Croissance. Décroissance matérielle. Écologistes politiques. Courants et programmes des partis politiques. Social-démocratie.

Social-démocratie

Une illusion ou une duperie

La social-démocratie est l’objectif et la méthode adoptés par les partis de centre gauche et de centre droit qui se disent sociaux. Ils se distinguent du communisme parce qu’ils refusent la conquête du pouvoir par des procédures révolutionnaires et qu’ils rejettent une économie planifiée. Ils se défendent de donner la priorité au libéralisme économique, mais de fait, dans leur pratique de gouvernement, ils adoptent le libéralisme en essayant de le corriger. Pour cela ils s’efforcent d’aboutir à des progrès sociaux par la croissance économique et des mesures sociales imposées par l’Etat en concertation avec les partenaires sociaux.

Michel Rocard et Lionel Jospin, en France, estimaient qu’il fallait accepter une économie de marché régulée par l’Etat et les négociations collectives, mais qu’il fallait refuser la « société de marché », c'est à dire une société dominée par la finance. Mais finalement ils n’ont pas osé s’opposer à la priorité donnée à la maximalisation des bénéfices des entreprises et des établissements financiers privés. Par contre combien de leaders politiques des partis dits de gauche, en France comme dans les autres pays européens, très conscients du pouvoir suprême de la finance, ont enfourché le thème de la social-démocratie pour avoir le soutien des électeurs de gauche en période électorale et l’ont réaffirmé dans leurs discours une fois au pouvoir, tout en mettant en œuvre cette société de marché dans laquelle le pouvoir financier a le pouvoir final. C’était une véritable duperie.

Depuis la fin des 30 glorieuses les politiques sociales-démocrates ont échoué à réduire par la croissance, comme cela avait eu lieu jusque là, les inégalités et la pauvreté extrêmes, celles-ci n’ont été réduites que par une politique sociale, une législation du travail et une redistribution des richesses au moyen de la fiscalité. Au cours des années 1960 à 1990 on avait grosso modo une répartition des richesses assez équilibrée entre les consommateurs par la baisse des prix, les salariés par la hausse des revenus et les dirigeants d’entreprises et les détenteurs de capitaux. Mais depuis les années 2000, les détenteurs de capitaux ont augmenté leur part des bénéfices au point qu’actuellement ils prélèvent à eux seuls les 2/3 des résultats financiers des entreprises.

En effet dans les entreprises capitalistes, sociétés anonymes par actions, les détenteurs internes ou les apporteurs externes de capitaux sont les décideurs suprêmes. Ce sont eux qui décident de la répartition des  résultats financiers. Ils choisissent le président directeur général, les membres du conseil d’administration et du directoire, ou ce qui en tient lieu. Ils leur octroient de très hauts salaires et les récompensent par des attributions d’actions, sans oublier de se distribuer de confortables dividendes. Finalement on aboutit à cette « société de marché » où la recherche des profits financiers maximum domine.

Si l’on veut que l’économie de marché profite à tout le monde et permette enfin de lutter contre la très grande pauvreté et les inégalités extrêmes, il faudrait non pas s’affranchir des apports de capital, mais enlever définitivement au capital sa domination absolue. Pour cela :

- soutenir règlementairement et fiscalement les entreprises de type coopératives de production, où l’entreprise est contrôlée par les salariés. La coopérative devrait devenir le modèle de base des entreprises

- soutenir les PME et les TPE créatrices d’emplois locaux

- contrôler et réguler les échanges extérieurs  pour compenser les dumpings économiques et sociaux

- limiter les prélèvements financiers des apporteurs de capitaux et des cadres dirigeants, de même qu’on interdit les taux usuraires

- non seulement voter mais se donner les moyens d’appliquer une législation définissant les grilles de rémunération minimale et maximale et les conditions de travail du personnel.

Voir : Coopératives de production. Croissance. Cour des comptes. Profit maximum ou juste bénéfice ?

Mouvement ou parti politique

Soumission à un leader ou démocratie ?

La République en marche et la France insoumise ont en commun d’avoir choisi d’être des mouvements politiques plutôt que des partis politiques. Des leaders à forte personnalité et à fort pouvoir de parole, Emanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, décidés à promouvoir leur programme personnel - capitaliste et libéral pour le premier, social et écologiste pour le second - ont saisi l’occasion du discrédit des partis traditionnels trop hiérarchisés et trop rigides, pour lancer un mouvement qu’ils contrôlent chacun entièrement avec leur équipe rapprochée. Pour animer le cirque politique et médiatique nous avons maintenant Jupiter contre Vulcain.

Les adhérents ne votent pas, n’élisent pas de représentants à pouvoir décisionnel aux niveaux local, régional ou national. Il n’y a pas d’élections internes. Des référents sont nommés directement ou indirectement par l’équipe dirigeante nationale. Des groupes d’appui ou des comités locaux peuvent se constituer librement, mais les adhérents ont pour mission de faire connaître, d’expliquer le programme et les décisions élaborées par l’équipe dirigeante, au moyen de manifestations, de porte à porte, de la diffusion de tracts, de livrets nationaux, etc.

On organise de temps à autres des votes par Internet où on demande aux adhérents de voter pour de grands thèmes qui font parmi eux la quasi unanimité, par exemple « Etes-vous pour la sortie du nucléaire » chez les insoumis ou « Etes-vous pour la modernisation de la France » dans la macronie. Les adhérents peuvent s’exprimer en envoyant des avis sur Facebook ou sur Twitter, mais sans confrontation ni débat réel. Leurs avis sont traités par des spécialistes de l’équipe nationale sous l’arbitrage final du patron.

Il aurait pourtant été possible de créer de nouveaux partis politiques véritablement démocratiques, qui auraient bien sûr besoin de leaders et de porte-parole, mais élus ou confirmés par les voix des adhérents, sans retomber dans les rigidités des anciens partis. Pour cela des règles simples seraient à appliquer :
-  élection à chaque échelon, d’un bureau comprenant :

. un premier secrétaire chargé du fonctionnement, qui ne soit ni un président, ni un délégué général, ni un directeur

. des secrétaires responsables de domaines spécifiques

. un trésorier, avec libre consultation des comptes par tout adhérent

. un ou plusieurs porte-parole chargés d’exprimer les positions majoritaires du parti.
-  limitation dans la durée à deux mandats consécutifs
-  possibilité pour les adhérents, à une majorité simple ou une majorité des 2/3, de révoquer à tout moment chacun des responsables de sa fonction
-  après débat en assemblée générale ou sur Internet, vote article par article de chaque point du programme, de chaque prise de position nouvelle sur des questions d’actualité, de chaque décision d’action
-  liberté laissée aux adhérents de contester publiquement les décisions majoritaires du parti. On adhère à un parti parce qu’on est d’accord avec son orientation générale, mais les militants doivent pouvoir faire connaître leur choix personnel sur tel ou tel point
-  dans les assemblées élues et dans les réunions internes au parti pas d’obligation de discipline de vote.

La démocratie, une personne une voix au sein d’un parti politique, est le seul moyen de limiter à chaque échelon la confiscation du pouvoir par les plus passionnés ou les plus ambitieux et d’informer toute la population des débats et des choix politiques proposés par ce parti.

Voir : Courants et programmes des partis politiques. Démocratie représentative. Militantisme politique. Minorités. Principes de la démocratie.

Écologistes politiques

Accepter des ruptures

L’écologie est d’abord une science, étymologiquement c’est la science de l’habitat ; elle s’intéresse aux conditions de vie et d’équilibre des êtres vivants - humains, animaux, plantes - dans leur environnement naturel.

Depuis des décennies, des scientifiques de plus en plus nombreux ont tiré des signaux d’alarme sur les multiples atteintes apportées par l’homme à son environnement : pollutions des terres, des mers, des nappes phréatiques, de l’air, gaspillage de ressources naturelles limitées, surpopulation. Mais ces scientifiques ne tiraient pas les conclusions politiques de leurs travaux, ils considéraient que ce n’était pas leur rôle. De leur côté les responsables des grands partis politiques de droite comme de gauche, les journalistes vivaient sur l’acquis de leurs connaissances ou croyances personnelles et ils ne voulaient surtout pas choquer les croyances de leurs électeurs ou de leurs lecteurs. Résultat tout le monde restait sur des croyances fausses ou des connaissances qui correspondaient à des données périmées.

C’est là que sont intervenus les écologistes politiques, nouvelle famille politique à côté de la droite et de la gauche. Ils ne sont pas des scientifiques, mais ils s’appuient sur les conclusions de travaux scientifiques. S’il y en a de contradictoires, ils retiennent les conclusions admises par la très grande majorité de la communauté scientifique. Alors pourquoi ne sont-ils pas plus écoutés ?

Cela vient du fait que 90 personnes sur 100 ne retiennent des informations qu’elles reçoivent que ce qui correspond à leurs connaissances acquises antérieurement et à leurs convictions. Et que la grande majorité des électeurs tient a maintenir ses habitudes de consommation et, si possible, à accroitre ses consommations matérielles.

Lors de journées d’été des Verts, dans les années 1990, un sociologue de renom avait demandé au cours d’un séminaire aux 50 adhérents Verts présents de dire tour à tour quel avait été leur parcours et pourquoi ils avaient adhéré aux Verts. À la fin des 3 heures de séance consacrées à entendre chacun, il avait constaté que toutes les personnes présentes avaient eu de fortes ruptures dans leur vie et les avaient acceptées. L’écologie politique est un acte de rupture dans les habitudes de pensée et dans les comportements, ce qui la rend insupportable à beaucoup de gens et difficile pour eux de l’accepter.

Les propositions des écologistes sont maintenant prises en compte dans les objectifs annoncés de tous les partis politiques, mais ces objectifs ne sont pas réellement traduits en actes. La rentabilité financière maximale du capital reste prioritaire pour les partis majoritaires.

Voir : Décroissance matérielle. Droite, gauche, écologistes. Écologistes politiques.

Faiblesse électorale des écologistes

Une erreur stratégique grave

Les mouvements écologistes, le parti Europe Ecologie Les Verts et La France Insoumise occupent aujourd’hui une place importante dans le paysage démocratique français à la gauche du parti socialiste.

Les mouvements écologistes depuis 50 ans ont été les premiers à donner l’alerte sur les limites de la planète, de la folie des systèmes économiques libéraux, de la nocivité du productivisme et de la suprématie de la rentabilité financière maximale pour la majorité des êtres humains et pour l’avenir de la terre, de l’inconscience des théories de la croissance matérielle illimitée.

Si on les lit sérieusement, on constate que leur programme est très mesuré par rapport à l’accroissement des inégalités, l’augmentation de la très grande pauvreté et les graves risques environnementaux, même s’ils demandent des changements profonds dans les modes de production et de consommation. Ils n’ont rien d’excessif comme le font croire les déformations médiatiques, les crispations des partis qui voient en eux des concurrents ou ceux qui ne supportent pas le changement ni la remise en cause de leurs habitudes et de leurs intérêts.

Mais alors, se demande-t-on, pourquoi les écologistes n’ont-ils pas de meilleurs résultats électoraux au niveau national ? Alors que localement, lorsqu’ils ont de bons candidats, ils obtiennent entre 15 à 20 % des voix, ce qui correspond d’après les sondages à ceux qui sont en mesure de les comprendre et de les soutenir. Je vois à cette faiblesse deux raisons.

D’abord ce que j’appellerai le talon d’Achille de tout vrai parti écologiste : les écologistes sérieux, sincères sont des personnes qui veulent mener une vie équilibrée, harmonieuse, sereine ; ils acceptent des engagements politiques sur des problèmes locaux, mais ils ne veulent pas se lancer dans les rivalités de tendances inévitables dans tout parti politique. Ils ne veulent pas non plus devenir des pigeons voyageurs comme le sont ceux et celles qui acceptent ou recherchent des postes d’élus au niveau des régions, de la France ou de l’Europe. Ce sont des fonctions pour lesquelles il faut quitter en tout ou partie son métier, sa famille, son environnement proche pour mener une vie assez déséquilibrée.

La deuxième raison est le choix stratégique fait par la majorité des Verts au milieu des années 1990. Ils ont décidé de s’allier au P.S. pour essayer de l’influencer. Ils ont cru qu’ils pourraient écologiser les socialistes. En fait, ils n’ont eu aucune influence sur le P.S qui est resté productiviste et fermé aux propositions écologistes, même s’il a introduit dans son discours quelques références à l’environnement. À partir de là, pendant toutes ces années, les électeurs de gauche ont refusé de voter pour les Verts de peur d’affaiblir la gauche.

L’erreur des Verts, et ensuite de EELV, a été de s’allier au P.S. alors qu’ils ne représentaient que peu de voix. Pour un parti, une alliance n’est utile qu’à partir du moment où il pèse 15 à 20 % des voix. Cela aurait été possible si les écologistes étaient restés autonomes en n’hésitant pas à faire des propositions à la fois réalistes et radicales. Ils devaient d’abord progresser comme mouvement d’opinion pour arriver à être compris par une majorité culturelle.

Voir : Courants et programmes des partis politiquesDroite, gauche, écologistes. Ecologistes politiques.  Majorité culturelle. Pensée binaire. Profit maximum.

Plan prévisionnel

Permettre la participation des citoyens

Entendons-nous  sur  le  mot  plan. Au  début  de  ma  carrière, j’ai travaillé en Alsace sur un projet franco-suisse-allemand la  « Regio basiliensis ». J’ai découvert qu’un Allemand qui dit ne pas faire de planification fait en réalité plus de planification qu’un Français qui dit faire de la planification. Pour un Allemand un plan est impératif ; pour un Français, surtout en politique, un plan n’est que prévisionnel. C’est déjà mieux que pas de plan du tout. Il ne s’agit pas non plus d’adopter les plans carcans de la Russie stalinienne.

Un plan prévisionnel devrait être l’un des outils essentiels d’une gouvernance démocratique. Il offre la transparence, il permet le débat public et la définition collective et démocratique d’objectifs à 3, 5, 10 ou 15 ans, au-delà des discussions sur le budget annuel. Il est un moyen pour traiter des questions au-delà du seul terme à 5 ou 6 ans des mandats électifs du Président de la République, des députés et des conseils municipaux.

Les plans Monnet pour la reconstruction du pays après la guerre de 1940 ont été d’une efficacité remarquable. Dans les années 1970, on a parlé d’une ardente obligation. Finalement on a relégué le plan à un exercice de style.

Pourtant, de nos jours, il serait très utile qu’un plan prévisionnel englobe les quatre dimensions fondamentales de la vie non seulement de la nation, mais de chaque région et de chaque bassin de vie : l’économique, le social, le culturel et la préservation de l’environnement. Ces quatre dimensions sont indissociables et dans notre modèle français d’économie mixte, un juste équilibre doit être trouvé entre ces quatre dimensions fondamentales, et aussi entre services publiques et entreprises privées.

Pris dans cette conception large, un plan peut être à la fois à 3 ans pour orienter les décisions budgétaires annuelles et les investissements courants, à 5 ans pour fixer les orientations à moyen terme et à 15 ans pour les grands équipements : axes de transports, urbanisme, enseignement, recherche, etc. Établir un plan prévisionnel et s’y référer est un travail collectif indispensable si on veut atteindre un niveau honorable de démocratie.

Les entreprises privées travaillaient sur le court et le moyen terme ; avec la financiarisation de l’économie elles ne travaillent plus que sur le court terme. Les collectivités publiques et les services publics ont alors à jouer un rôle d’autant plus important sur le moyen et le long terme.

Le plan, quelle que soit l’étendue de son champ d’application : commune, communauté de communes, bassin de vie, région, nation, Europe, est le moyen de procéder en toute clarté :

- à un inventaire des besoins à satisfaire, des services existants et des moyens dont on dispose au-delà de l’année budgétaire en cours

- à un débat public sur les objectifs à atteindre et les choix à opérer

- à une prise de conscience des moyens limités dont on dispose : ressources financières, ressources humaines, ressources naturelles.

Une fois le plan établi, les responsables politiques peuvent être amenés à le modifier ou à s’en écarter, mais ils doivent alors dire pourquoi. On revient à la démocratie participative. La qualité de la vie démocratique, l’information, la participation et l’adhésion des citoyens ne peuvent qu’y gagner.

Voir : Démocratie participative. Une économie mi-publique mi-privée. Entreprise privée. Fonctionnaires. Mots fourre-tout. Services publics.